Bernard Andrieu, spécialiste en philosophie du corps et du sport, est directeur de l’Institut des sciences du sport-santé de Paris et professeur en sciences des sports à l’université Paris Cité. Récemment, en collaboration avec Hélène Joncheray et Rémi Richard, chercheurs en sociologie du sport de performance à l’Insep et l’Université de Montpellier, Andrieu a publié une anthologie intitulée « Philosophie du sport : Olympisme et paralympisme ». L’ouvrage met en évidence la nécessité de reconnaître la réalité des corps autres que ceux traditionnellement athlétiques et socialement acceptés.
Avant les Jeux paralympiques, certains ont qualifié les athlètes handisports de « super-héros » et ont salué leur résilience. Cependant, ces athlètes veulent simplement être vus comme des sportifs de haut niveau. Cette situation a suscité l’attention d’Andrieu, qui a été marqué par la série « Incassable » diffusée sur France Télévisions. Cette série met en lumière des athlètes handicapés via des mini-interviews, se terminant toujours par la question: « Etes-vous incassable ? ». Bien que la majorité des répondants affirment être « incassables », ces individus ont soit un handicap congénital, soit ont perdu un membre suite à un accident, leur corps ne peut donc matériellement être « incassable ». Cela met en lumière un processus d’héroïsation des corps, dont le paralympisme est l’apogée. Par ailleurs, certains athlètes ne souhaitent pas être identifiés comme des personnes handicapées. Cette approche est compréhensible, mais risque d’occulter ceux qui sont moins exposés et ne réalisent pas d’exploits.
Dans ses recherches, Andrieu aborde le concept d’hybridation, sans toutefois en préciser la nature exacte.
Lorsque Joël Gaillard [professeur à l’école de sport de Nancy] et moi-même avons publié notre ouvrage, « Vers la fin du handicap » en 2010, et que je l’ai introduit aux organisations des personnes handicapées, j’ai fait l’objet de critiques intenses. On m’accusait d’avoir proposé de supprimer le statut de personne handicapée, ce qui n’était absolument pas notre intention !
Notre objectif était de mettre en lumière que, au quotidien, les individus handicapés ne perçoivent pas nécessairement leur existence comme celle d’une personne handicapée. Ils se perçoivent plutôt comme des êtres hybrides grâce à leurs prothèses ou leur fauteuil roulant. Ces « outils » leur offrent un moyen de se réapproprier leur corps et de réaliser une série de tâches qui les rapprochent des personnes non handicapés.
Cependant, être un être hybride est un état très imprévisible. Comme le soulignaient Gilles Deleuze (philosophe) et Félix Guattari (psychanalyste) dans leur livre « Mille plateaux » (Editions de Minuit, 1980), l’hybridation n’est pas un statut, mais un processus continu. Le déroulement de ce processus dépend grandement de l’environnement de la personne, de sa prothèse et de son fauteuil roulant.
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