Ils ont adopté comme credo profond que les Jeux apporteront du bon au département de Seine-Saint-Denis, faisant ainsi de ce lieu un exemple brillant d’une France pleine de vigueur, sportive et diverse – en somme, olympique. Suite à l’attribution de l’accueil des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024 à Paris en 2017, le message véhiculé par les discours des élus et des organisateurs, figures de proue de l’événement, s’en est imprégné. Tony Estanguet, en 2017, dans le journal Les Echos, faisait l’éloge de la transformation que les Jeux allaient apporter à la Seine-Saint-Denis.
Cinq ans après, Stéphane Troussel, le président du conseil départemental provenant du Parti socialiste, dit qu’on pourrait renommer les Jeux « Seine-Saint-Denis 2024 », tellement le département est impliqué, ayant sur son sol le village olympique, le village des médias, le centre aquatique olympique et pas moins de dix compétitions y compris l’athlétisme, la boxe, l’escalade et le rugby à sept…
En effet, Mathieu Hanotin, le maire de Saint-Denis, issu également du Parti Socialiste – la ville abritant le Stade de France, le centre aquatique olympique et le village des athlètes (partagé avec Saint-Ouen et l’Ile-Saint-Denis), renchérit : « C’est un bouleversement d’image essentiel pour bâtir une croissance économique et s’échapper du cycle négatif que Saint-Denis a connu ces dernières années », confie-t-il.
Selon le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane (PS), l’événement propose une fierté renouvelée et un sens d’identité à une génération entière. Même Joey Starr, connu pour proclamer depuis 1998 que « la Seine-Saint-Denis est dynamique », contribue à une vidéo promotionnelle intitulée « Fier d’accueillir les Jeux », où le département est présenté comme la source des futures légendes.
Cependant, il reste à convaincre les 1,6 million de personnes qui vivent dans ce territoire. Beaucoup d’entre eux ont des préoccupations différentes. Dans ce département -le plus jeune et le plus défavorisé de la France métropolitaine-, l’éducation est dégradée, l’habitat indigne représente au moins 15% du secteur privé (selon la préfecture), et les transports publics souffrent d’un manque constant de chauffeurs qui rend les voyages complexes.
Alors, pourquoi tant d’accent sur les Jeux? L’une des raisons principales est qu’ils permettent de continuer une histoire qui a commencé en 1993 et qui est considérée comme convaincante. Cette année-là, le député et maire (Parti communiste) de Saint-Denis, Patrick Braouezec, a obtenu du gouvernement d’Edouard Balladur la construction du Stade de France à La Plaine Saint-Denis, sur un terrain vague d’une ancienne usine à gaz. Ce sera un apport significatif, tant sur le plan géographique qu’image », avait promis M. Braouezec dans Les Echos. En effet, deux nouvelles stations de RER desservent désormais La Plaine Saint-Denis, et de nombreux sièges de grandes entreprises y ont été implantés.
Vingt-six ans plus tard, Céline Daviet, la directrice de « mission JOP », décrit les Jeux Olympiques comme « la deuxième étage de la fusée ». La mission JOP a été établie en 2015 et formalisée en 2017 au sein de l’intercommunalité Plaine Commune, qui réunit neuf villes du 93, y compris quatre des villes hôtes. Les Jeux ont servi de catalyseur pour divers aménagements, dont certains étaient envisagés depuis longtemps, comme la construction du pont Pleyel qui traverse le plus grand réseau ferroviaire d’Europe, un projet conçu en 1991.
Plus de 1,1 milliard d’euros de fonds publics ont été investis sur ce territoire par Solidéo, l’organisme public responsable des projets liés aux Jeux. Cela représente 80% de son financement public (1,7 milliard sur un budget total de 4,5 milliards d’euros). Cet investissement a permis non seulement de construire de nouvelles installations, mais aussi d’en rénover certaines.
Sur les soixante-dix infrastructures construites ou rénovées par Solidéo, trente-huit se trouvent au nord périphérique, y compris les deux villages olympiques qui seront convertis en logements après les Jeux, et des kilomètres de pistes cyclables destinées à améliorer la mobilité des riverains.
Le département de Seine-Saint-Denis accueille le plus grandiose des nouveaux sites, le centre aquatique olympique de Saint-Denis. Ce territoire, jusqu’alors doté de peu de bassins d’entraînement, où environ trois enfants sur quatre ne savent pas nager lorsqu’ils entrent en sixième, a également vu la construction d’une nouvelle piscine à Aubervilliers et la rénovation de plusieurs autres (à Montreuil, Aulnay-sous-Bois, La Courneuve). Une fois les compétitions terminées, les bassins de natation de La Défense seront relocalisés dans le département.
« / »« Perturbations des constructions »
Le résultat de tout ce processus est qu’au cours des six dernières années, les cités affectées et leurs résidents ont dû s’adapter à la fréquence constante de ces grands projets de construction – auxquels viennent s’ajouter ceux du nouveau métro du Grand Paris Express. Dans cette situation, il n’est pas facile de convaincre les résidents de l’importance des Jeux, face aux perturbations causées par les travaux, les embouteillages et une situation économique qui ne change pas du jour au lendemain, admet Céline Daviet. Le béton en lui-même n’améliore pas la vie des gens, mais il offre la possibilité de valoriser et d’améliorer leur environnement. C’est un travail à long terme.
En ce qui concerne les opportunités d’emploi, elles sont restées limitées. Les chantiers des JOP ont entraîné 936 embauches locales entre 2021 et 2023 dans l’industrie du BTP, selon les chiffres de Plaine Commune. La collectivité signale également 2 515 bénéficiaires de clauses d’insertion (pour 1,89 million d’heures de travail) sur les projets supervisés par la Solidéo.
Désormais, ce sont des emplois temporaires liés à l’événement lui-même qui sont proposés, notamment dans le domaine de la sécurité privée et de la restauration. « Il y a beaucoup de promesses d’emploi dans l’événementiel et la sécurité, mais nous manquons de données pour évaluer combien de personnes du territoire sont réellement embauchées », note Nadia Chahboune, adjointe (du Parti communiste) en charge de l’emploi et de la jeunesse à La Courneuve.
« Le sentiment est qu’il y a peu de retombées et que la population du 93 n’est sollicitée que pour des emplois sous-qualifiés avec des contrats précaires. Il est très difficile d’accéder à des postes plus élevés dans la hiérarchie des JOP », regrette-t-elle. »/
Mariame Bathily, étudiante en informatique à l’université Paris-VIII Saint-Denis et résidente de Courneuve, commente ironiquement le manque d’opportunités d’emploi en dehors des emplois de sécurité annoncés sur les murs de l’université ou par e-mail. Elle a, pour sa part, prévu de profiter de ses vacances d’été pour se reposer et assister aux Jeux Olympiques. En tant qu’adepte du tennis, elle a réussi à réserver deux billets pour une compétition de taekwondo grâce à son service civique effectué cette année.
Malheureusement, peu d’autres étudiants ont eu cette chance. Bien que la préfecture affirme avoir acheté 150 000 billets et les avoir distribués par le biais de différentes municipalités, clubs sportifs et associations depuis mai, cette occasion ne concerne pas tout le monde et est arrivée tardivement. La plupart des clubs et des écoles n’ont pas pu utiliser les Jeux comme un outil éducatif, à l’exception de quelques enseignants passionnés par les Jeux Olympiques qui ont organisé des olympiades de fin d’année pour leurs classes.
Cependant, les festivités ne sont pas loin. Le parc départemental Georges-Valbon sera le lieu d’une grande zone de célébration gratuite du 25 juillet au 11 août, puis du 6 au 8 septembre. L’événement accueillera la flamme olympique et des concerts du rappeur Gazo et de la chanteuse Adèle Castillon dès le 25 juillet. Ces moments éphémères seront toutefois strictement encadrés par un dispositif de sécurité important et le retour du QR code sera nécessaire pour se déplacer près des sites de compétition.
Mohamed Traore, un volontaire de 24 ans, s’inquiète que malgré les efforts de son département pour promouvoir une image positive, les obstacles imprévus découragent ceux qui ne sont pas particulièrement sportifs dans son entourage. Prêt à servir avec son costume coloré en bleu et rose, il a même rafraîchi ses compétences en anglais. En tant qu’étudiant en électrotechnique, il sera bientôt stationné au Grand Palais, une position qui le ravit en tant que pratiquant de taekwondo, car c’est là que les compétitions de cet art martial coréen auront lieu. Cependant, il reste une question logistique à résoudre: comment se rendre sur place alors que le RER qu’il prévoit d’utiliser ne s’arrête plus à toutes les stations à cause des Jeux. « Mais nous trouverons une solution. Advienne que pourra », dit-il. Il est prêt à participer.
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