L’hégémonie financière des clubs de football dominant en recrutant les meilleurs footballeurs est la réalité tangible du football européen depuis deux décennies. Cette concentration de la puissance financière détermine souvent les résultats du sport, rendant les surprises rares, particulièrement dans la Ligue des champions. Toutefois, l’éventualité d’une surprise se trouve parfois dans les compétitions de football de sélections.
L’Euro 2024 illustre cette possibilité d’incertitude sportive avec l’ascension de l’équipe roumaine. Ayant terminé en tête d’un groupe très compétitif au premier tour, l’équipe nationale roumaine est en compétition contre les Pays-Bas, le mardi 2 juillet à Munich, pour une place en quart de finale du tournoi.
L’équipe roumaine est composée de joueurs globalement moins reconnus, y compris des histoires personnelles uniques, comme le gardien de but Florin Nita, ancien travailleur dans une usine à cozonaci (un gâteau traditionnel roumain). Les données de Transfermarkt révèlent que la valeur totale des 26 joueurs sélectionnés pour l’Euro est de près de 83 millions d’euros, ce qui équivaut au seul transfert de l’attaquant français Randal Kolo Muani au Paris Saint-Germain en été 2023. Le défenseur Radu Dragusin est le seul joueur évoluant dans un club d’envergure, même s’il a été remplaçant ces derniers mois à Tottenham, en Angleterre.
Alexandre Lazar, co-auteur du livre « A l’ombre du Big Five. Les nations perdues du football » (Amphora, 2023), note que « à part l’Italie, le marché roumain n’attire plus les recruteurs des grands championnats européens ». Il ajoute que « nombreux joueurs partent dans les pays du Golfe ou en Turquie ». Lazar est aussi le fondateur de Foot Roumain sur X, un média de football roumain.
Il mentionne également une « fantastique capacité à souffrir ».
Lors du dernier Euro en 2016, la Roumanie a subi une défaite décevante face à l’Albanie, les reléguant au dernier rang du groupe français. Depuis lors, presque tous les principaux clubs du pays ont disparu du panorama des compétitions européennes.
Etait-il réaliste d’espérer quelque chose d’exceptionnel de la part de l’équipe Tricolore cet été en Allemagne ? Emmanuel Rosu, un journaliste roumain, le résumait sur le site du Guardian au début du mois de juin : « Si par « spécial », vous entendez une persévérance intense, une détermination sans faille et une capacité incroyable à résister à la douleur, alors la Roumanie vous épatera. Cependant, si vous n’êtes pas un fan des difficultés du football, il serait préférable de concentrer votre attention ailleurs. »
Cet esprit sarcastique met en lumière le fait que l’âge d’or de l’équipe des années 90 est maintenant un lointain souvenir en Roumanie. Les dernières grandes figures du football telles qu’Adrian Mutu et Cristian Chivu ont vu le temps passer sans laisser émerger de véritable successeur.
Edward Iordanescu, qui a pris les rênes de l’équipe nationale au début de 2022, a été fortement critiqué après deux déroutes face au Monténégro, qui ont relegué la Roumanie en troisième division de la Ligue des nations. Alexandre Lazar, journaliste, se rappelle : « Je n’avais jamais vu une équipe nationale si démoralisée. » Cependant, il a été impressionné par la suite.
Le fils d’Anghel Iordanescu, qui a connu les heures de gloire du football roumain – un titre en Coupe des clubs champions avec le Steaua Bucarest en 1986 et une place en quart de finale de la Coupe du Monde 1994 – s’est avéré être un leader efficace.
On peut ainsi parler de la « génération du coeur ».
Surprise lors de l’Euro, la Roumanie a montré sa force avec un coup d’éclat contre la tricolore le 17 juin à Munich. Avec un but brillant du capitaine Nicolae Stanciu, qui a mystifié le gardien ukrainien, l’équipe a triomphé avec une victoire éclatante de 3-0 lors de leur premier match. Bien qu’ils aient perdu face à la Belgique (2-0), la squad roumaine a réussi à maintenir un match nul contre la Slovaquie (1-1) quatre jours plus tard, garantissant leur place en huitièmes de finale.
Cette performance a suscité l’enthousiasme des fans nostalgiques qui se souviennent de l’époque de Gheorghe Hagi et de la « génération dorée ». La nouvelle génération emmenée par Ianis Hagi, moins célèbre que son père, a été surnommée « génération de coeur » par le sélectionneur Edward Iordanescu. Il a déclaré avant le match contre les Pays-Bas : « Il est bon de regarder en arrière vers les jours glorieux, mais nous sommes maintenant dans une ère différente avec une équipe fantastique pleine de caractère. Le football roumain entre dans une nouvelle ère».
L’équipe roumaine, qui mise principalement sur la défense solide et la contre-attaque, bénéficie d’un avantage non négligeable : le soutien massif de la nation. Les fans roumains, présents en grand nombre, animent les stades et les rues de l’Allemagne. À Francfort, les tribunes étaient massivement jaunes lors du match crucial contre la Slovaquie, reflétant le succès actuel du football roumain.