Dans son salon parisien aux murs d’un rouge grenat, Jacques Vallerey, âgé de presque 85 ans, regarde une photo en noir et blanc datant de 1946. C’est une précieuse trace de l’histoire de sa famille. Il a aussi déterré quelques coupures de presse sur lesquelles il a fait quelques annotations. La photo a été prise à la piscine des Tourelles, dans le 20e arrondissement de Paris, juste après la guerre. Elle montre ses parents élégamment habillés, lui-même à 7 ans et ses frères et sœur, tous en maillots de bain. Quatre-vingts ans plus tard, il est le dernier membre survivant de ce qu’on appelait « la Famille poisson », depuis le Maroc jusqu’à la France. « La natation était vraiment notre sport, c’était un jeu pour nous », raconte cet ancien employé du château de Versailles en se souvenant de cette histoire particulière. Sa mémoire, malgré son âge, demeure un fidèle allié.
L’ensemble de la tribu était alors dévoué à l’art de la natation, qu’il s’agisse de l’aîné, Jehan, né en 1925, Georges-Urbain (1927), Gisèle (1930) ou des jumeaux Guy et Michel (1934). Chacun d’entre eux a excellé dans les piscines. « L’étonnante famille Vallerey », a titré le quotidien L’Equipe le 26 septembre 1946, suggérant qu’il s’agit probablement de « la famille la plus sportive de France ». Les archives le confirment : Jehan était détenteur du record d’Europe en natation libre en équipe, Gisèle détentrice du record du monde du 100 mètres brasse-papillon – à ce moment, la Fédération internationale ne différenciait pas encore ces deux styles. Cependant, le plus talentueux était Georges-Urbain, souvent surnommé « Georges » ou « Yoyo ».
« C’était un champion exceptionnel », déclare doucement Jacques, dont les yeux bleu-gris s’embrouillent à chaque souvenir de son frère, emporté par la maladie à 26 ans. Malgré la courte durée de sa carrière, « Yoyo » a battu sept fois des records d’Europe, compensant sa taille modeste (1,73 mètre) par une morphologie d’athlète.
Pour comprendre cette épopée, on doit remonter à ses racines et examiner le parcours du père, également nommé Georges. C’est grâce à ce vaillant Breton que tout a commencé, sur le seuil du XXe siècle. Issu d’une lignée d’amiraux, il a fait ses premiers pas dans l’eau salée du port de Lorient (Morbihan), sa ville natale, en apprenant à nager. « Il s’est qualifié pour les Jeux olympiques de 1924 en tant qu’amateur et il a atteint la finale pour le 100 et le 200 mètres nage brasse », rapporte son fils, Jacques. Durant cet été, Vallerey père assistait à l’éclosion de la légende de Johnny Weissmuller, lors de son passage à la piscine des Tourelles. Avant de troquer sa tenue de nage pour le costume de Tarzan, le futur acteur hollywoodien a brisé tous les records de l’installation en plein air créée pour l’occasion, remportant trois médailles d’or.
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