Initialement, il est crucial de laisser les « oncles utérins », ses oncles du côté maternel, accomplir leur devoir. Ils sont ceux qui, symboliquement, lui ont insufflé la vie à sa naissance, et à présent, ils doivent revêtir la défunte et initier la cérémonie. Nassaïe Doouka s’en va, en ce samedi 1er juin, devant sa famille rassemblée. La tradition se déroule avec solennité dans la petite salle de veillée numéro 8, située au vaste cimetière du 5e Kilomètre à Nouméa.
Agée de 17 ans, la jeune Kanak a été tragiquement assassinée le 15 mai à Ducos, un quartier du Grand Nouméa, par un Caldoche qui a tiré avec une précision mortelle dans sa tête, utilisant son fusil. Des images de Nassaïe, gisante sur la route, circuleront massivement sur les réseaux sociaux en Nouvelle-Calédonie.
Elle est devenue alors l’une des toutes premières victimes de l’insurrection, qui a éclaté brutalement deux jours avant. Le 15 mai, quatre décès sont dénombrés, dont trois Kanaks – en plus de Nassaïe, son cousin Chrétien Neregote, 36 ans, et Jibril Salo, 20 ans, étudiant de l’île de Maré – ainsi qu’un gendarme, Nicolas Molinari, âgé de 22 ans, originaire de Seine-et-Marne.
Les obsèques commencent également par un geste de « pardon » de la part des organisateurs de la cérémonie. Son déroulement correct est impossibilisé, car les autorités ont fermé le cercueil blanc devant lequel la mère et les tantes pleurent. Sur le couvercle, recouvert du drapeau bleu-rouge-vert de la Kanaky, les photos souvenirs captivent le regard.
« Ceci n’est pas une mort ordinaire ».
Avec un sourire malicieux et ses dreadlocks taillées en carré, Nassaïe, dont le prénom français est Stéphanie, est la pénultième d’une fratrie de six. Elle est née d’une mère originaire de l’île de Lifou et d’un père de Canala sur la Grande Terre. Avant son 18ème anniversaire, elle avait quitté l’école et s’apprêtait à postuler pour intégrer l’armée de l’air, tout comme sa cousine avec qui elle partageait tout, y compris les fêtes. « C’était une jeune femme joyeuse », raconte son grand-père Jacky Doouka. « Sa mort n’était pas naturelle. Elle a été tuée. Ici, il y a deux classes de gens et nous avons toujours été les derniers. On ne peut pas nous tuer comme ça sur notre propre terre, en Kanaky. »
Dans la chapelle ouverte, où un doux vent balayait le cimetière, une centaine et demie de personnes proches ont entonné des chants. Le pasteur Jean-Paul Noël a ouvert le livre de Job, où Satan défie inutilement Dieu : « Nous avons tous des interrogations sur le décès de ‘Nana’. Laissez-moi vous rassurer ce matin avec ces mots. » Le religieux voulait surtout apaiser les cœurs en colère.
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