Jean-Marc Ayrault, en sa qualité de président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a été témoin de la signature de l’accord de Nouméa en 1998 avec Lionel Jospin. Par la suite, il a suivi leurs traces lors de son mandat de premier ministre de 2012 à 2014, emboîtant le pas à Michel Rocard.
Quel est votre avis sur les commentaires du chef de l’État en Nouvelle-Calédonie ?
J’ai été bouleversé et même choqué d’apprendre que le président voulait déclencher un référendum pour résoudre la question du corps électoral. Cela m’a surpris, même s’il a depuis fait volte-face. Le 2 mai, j’ai été sollicité pour une audition à l’Assemblée nationale par le rapporteur du projet de loi sur la réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie [le député de Renaissance, Nicolas Metzdorf, un représentant de la droite loyale à Nouméa]. Je suis déçu qu’il ait ignoré mes avertissements. Mes avertissements n’étaient pas politisés. J’avais souligné les erreurs commises, comme la nomination de la loyale Sonia Backès en tant que secrétaire d’État, le fait que Matignon avait cessé de veiller au respect des accords de Nouméa, et la tenue du troisième référendum malgré la demande des Kanak de le reporter pour honorer leur période de deuil suite à la pandémie de Covid-19.
Dans le passé, j’avais préconisé l’instauration d’une nouvelle mission pour retisser les liens de communication. L’électorat kanak porte une immense sensibilité sur la question de sa composition, une problématique qui ne peut être séparée d’un accord politique intégral. Ignorer cet aspect constituait une erreur politique majeure. Toutes les composantes étaient en place pour mener à une crise. Le rapporteur, au lieu d’écouter ces avertissements, a choisi de déclarer que la colonisation était révolue. Cet amas de fautes représente un gaspillage considérant tous les efforts déployés par les communautés locales et l’État depuis trente-cinq ans.
Le président de la République ne fait même pas allusion à ce sujet de décolonisation…
Je suis déçu que le président de la République n’aborde pas ce sujet alors que les Nations Unies classifient la Nouvelle-Calédonie comme faisant partie de ce processus. Les Kanak, peuple originel, l’expropriation de leurs terres, leur confinement dans des réserves, le statut de l’indigénat, tout cela a engendré des injustices et des inégalités profondes, même si de nombreux progrès ont été réalisés depuis les accords de Matignon en 1988 et de Nouméa en 1998. La reconnaissance d’une citoyenneté spécifique, la relation avec la France: ces questions restent pertinentes aujourd’hui. Nous nous trouvons dans un long processus de décolonisation qui n’a pas atteint son dénouement.
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