La culture du cannabis au Liban connaît une croissance fulgurante depuis le début du conflit en Syrie.
Abou Sami, cultivateur de cannabis au Liban, se frotte les mains: le conflit en Syrie voisine a non seulement paralysé l’Etat, l’empêchant de détruire ses cultures, mais a dopé le trafic, la frontière étant beaucoup moins contrôlée.
« Cette année, la récolte a été abondante. Les autorités ne nous ont pas livré la guerre car elles étaient occupées ailleurs », se félicite-t-il, en référence aux violences liées à la Syrie qui secouent le Liban depuis des mois.
L’armée éradiquait chaque année les quelques milliers d’hectares de cannabis dans la région est de la Békaa, si bien qu’en 2012, les cultivateurs ont attaqué ses bulldozers à la roquette, accusant le gouvernement de voler leur gagne-pain. La Békaa, terre de trafics où l’appartenance clanique prime sur le respect de l’Etat, partage une longue frontière poreuse avec la Syrie et est un bastion du Hezbollah chiite qui combat aux côtés du régime syrien.
Dans le village d’Abou Sami, situé en contrebas d’une montagne aride et que les cultivateurs interviewés par l’AFP souhaitent ne pas identifier, les « hangars » sont en activité en plein jour : c’est l’appellation donnée aux garages où cribleurs et égreneuses électriques transforment le cannabis en poudre.
Au bord des routes sinueuses, hommes et femmes sont à l’œuvre derrière des rideaux coulissants à moitié fermés. Une scène qui ne choque personne, car disent-ils, « c’est l’unique source de revenu ».
« Vu les problèmes liés à la Syrie, l’Etat ne veut pas un nouveau front. Sinon, il nous serait tombé dessus », s’exclame Afif, autre cultivateur. « Les cultures n’ont pas été détruites cette année. La crise syrienne a beaucoup joué », confirme Joseph Skaff, chef de la lutte anti-drogue.
Durant la guerre civile (1975-1990), le haschich libanais, réputé pour sa qualité, s’était transformé en une industrie générant des centaines de millions de dollars. Sous la pression de Washington, l’Etat a mené des campagnes d’éradication, promettant des cultures alternatives. Mais depuis l’échec d’un programme de l’ONU il y a 15 ans, c’est le bras de fer avec les cultivateurs qui réclament la légalisation de cette culture ancestrale.
Pour Abou Sami et Afif, l’instabilité actuelle au Liban est une aubaine tout comme la guerre chez le voisin. « Aujourd’hui, tout passe car c’est le chaos du côté syrien », assure Abou Sami. « Là où il y a la guerre, la drogue suit », dit-il, en contemplant un monticule de cannabis tamisé à la couleur brun foncé. Plus loin, deux vieilles brûlent les tiges pour effacer les traces.
Selon les agriculteurs, la demande a augmenté de plus de 50% depuis un an, et la majorité du haschich est écoulée vers la Syrie. Ils soutiennent qu’avec la guerre, les « hajjana », les gardes-frontières syriens, ont été remplacés par l’armée, mais celle-ci est prise par les combats.
Selon Abou Ali, en contact avec les dealers, les trafiquants de Syrie font passer la drogue vers les pays voisins: « De Turquie, la marchandise est vendue en Europe, et d’Irak et de Jordanie, elle est écoulée dans les pays du Golfe ».
« Vu le risque, les 40 grammes qui se vendent 20 dollars au Liban s’achèteront 100 dollars en Syrie et 500 au moment d’arriver en Turquie ». « Les combattants en Syrie achètent aussi en petites quantités pour consommer », assure-t-il.
Avec la hausse de la production, le kilo à 1.000 dollars s’achète aujourd’hui au Liban à 500.
Ici, on évite de commenter le rôle du Hezbollah, opposé à ce trafic mais accusé par ses détracteurs de fermer l’œil dans une région où il est tout-puissant. Le trafic profite aussi à des réfugiés syriens: Ibrahim a quitté son champ de betteraves à Afrine, localité kurde de la province septentrionale d’Alep, pour tamiser du cannabis.
« Avec la guerre, le nombre de Syriens travaillant le haschich ici a doublé », affirme l’homme de 32 ans, la voix couverte par le fracas du cribleur. « C’est très rentable », renchérit Samer, autre Syrien d’Afrine qui dit gagner 33 dollars par jour contre 13 comme vendeur de légumes.
Les villageois défendent avec force leur culture prohibée. « Elle fait vivre des familles entières », assure Afif, père de trois enfants. Ses deux hectares rapportent selon lui quelques dizaines de milliers de dollars par an. Les bénéfices des gros trafiquants peuvent atteindre 1,5 million de dollars. « Ici, aucune plante ne survit, sauf le haschisch. C’est un don de Dieu. Peut-on s’opposer à Dieu ? », s’esclaffe-t-il.
Avec AFP.