« C’est la connexion Internet la plus rapide que j’ai jamais expérimentée depuis ma naissance! » déclare Bona Bol Chadar, un étudiant en technologie de l’information et de la communication à l’Université de Juba, la capitale du Soudan du Sud. Il est ouvertement ravi de la présence de Starlink, le service d’accès à Internet par satellite de SpaceX. Officiellement disponible dans le pays à partir du 22 août, cette technologie exploitant des satellites en orbite terrestre basse, une innovation du milliardaire Elon Musk, avait déjà fait une entrée furtive sur le territoire soudanais il y a plus d’un an. Des terminaux étaient secrètement importés du Kenya voisin, où Starlink a commencé à fonctionner en juillet 2023.
Après l’approbation officielle des autorités de Juba et les premiers feedbacks d’utilisateurs publiés sur les médias sociaux, l’excitation afflue parmi les internautes qui font face à des coûts de connectivité élevés. Selon le site web de données statistiques, Statista, le Soudan du Sud se classe au deuxième rang des pays d’Afrique avec le coût d’Internet mobile le plus élevé.
L’entrée de Starlink est très attendue, en particulier suite à l’augmentation des tarifs d’Internet mobile par les trois principaux opérateurs de réseau mobile du Soudan du Sud, à savoir Zain, MTN et Digitel, une entreprise locale. Avec plus de 1 300 terminaux en activité dans un pays de 10,5 millions de résidents, Starlink en est encore à ses premiers pas. Cependant, nombreux sont les internautes révoltés par ce qu’ils appellent le « vol » des opérateurs existants, et ils ont promis de se tourner vers le nouveau venu dès qu’ils en auront l’opportunité.
Une connexion trois fois moins coûteuse.
Bien que la promesse d’un bouleversement au Soudan du Sud soit alléchante, des questions persistent. En effet, la prolifération de revendeurs Starlink qui ont surévalué les coûts jusqu’à trois fois le tarif initial a laissé place à de l’incertitude, selon l’experte de la vérification de l’information, Marina Modi. Bien qu’elle soit séduite par l’idée d’une connexion haut débit à un prix trois fois inférieur à son forfait actuel qui est lent, elle a décidé de différer son achat.
«L’achat de ce matériel semble tout aussi complexe que l’importation d’une voiture», déplore-t-elle. La livraison ne se fait que trois à quatre semaines après la commande et une «lettre de non-objection» doit être obtenue auprès de l’Autorité Nationale de Communication (NCA), le régulateur du Soudan du Sud, avant de pouvoir récupérer le paquet et utiliser le dispositif.
Selon le type d’antenne, les frais initiaux avoisinent les 200 ou 389 dollars (184 ou 358 euros), avec un abonnement mensuel de 30 ou 50 dollars. Ce n’est pas à la portée de tout le monde, surtout quand on sait que seulement 3% des Sud-Soudanais ont un compte bancaire et uniquement 1% ont une carte de crédit, nécessaire pour souscrire au service. Beaucoup voient ces barrières comme un frein à l’expansion de Starlink à grande échelle, comme aux États-Unis ou même au Kenya où la culture numérique et l’inclusion financière sont bien plus avancées, observe Nelson Kwaje, spécialiste en technologies de la communication et fondateur du Scenius Hub, un lieu d’accueil pour la jeunesse dans la capitale du Soudan du Sud.
Après avoir accédé à l’indépendance en 2011 suite à des années de conflit, avant de retomber dans une guerre interne de 2013 à 2018, le Soudan du Sud est jugé comme une localisation idéale pour Starlink par Napoleon Adok Gai, le directeur général de la NCA. Selon lui, le pays est parfait pour Starlink parce que 99% de son territoire n’est pas couvert par la fibre optique. En dehors de la capitale, Juba, qui a été connectée en 2019 grâce à un câble installé depuis l’Ouganda, le reste du pays accède principalement à Internet par l’intermédiaire d’antennes de télécommunication, comme le montre une carte dans le bureau de M. Adok Gai. Plusieurs régions, en particulier dans la moitié est du pays, en sont totalement dépourvues.
En autorisant Starlink à opérer dans le pays, M. Adok Gai espère stimuler la compétition sur le marché, poussant les opérateurs de réseau mobile et les fournisseurs d’accès Internet à réduire leurs coûts et à améliorer la connectivité dans les zones rurales. Néanmoins, c’est un acte d’équilibrisme délicat pour le régulateur, car le secteur des télécommunications dépend entièrement du secteur privé en l’absence d’investissement gouvernemental. L’introduction de Starlink, qui propose du haut débit à un tarif mensuel ne se comptant pas en milliers de dollars, menace directement la prédominance des opérateurs traditionnels.
Moses Kimani Mbugua, représentant de Iptec, l’un des principaux fournisseurs d’internet pour les entreprises au Soudan du Sud, reconnaît que Starlink constitue une menace pour leur commerce. Cependant, il espère intégrer ce service à leur offre. David Maingi Musila, son partenaire, met en avant le support client comme un avantage concurrentiel. Il soutient que même si Starlink est abordable, il n’y a pas d’assistance immédiate en cas de problème de connexion. Ali Monzer, directeur général de MTN, une entreprise sud-africaine opérant également au Soudan du Sud, a présenté un argument similaire lors d’un événement public. Malgré le fait que son entreprise emploie 40 000 personnes directement ou indirectement et compte six millions de clients équipés de cartes SIM MTN dont 600 000 sont des utilisateurs du service de paiement MoMo, il est prêt à collaborer avec Starlink. Néanmoins, sa proposition de vendre les services de Starlink aux entreprises n’a pas été acceptée par la NCA qui n’a homologué, avec l’accord de Starlink, que quatre revendeurs officiels jusqu’à présent.
« Selon Yine Yenki, fondatrice de l’initiative Go Girls ICT créée en 2015 pour promouvoir l’accessibilité des sciences et des technologies avancées pour les jeunes et les filles, Starlink est malheureusement pas à la portée de tous. Alors qu’elle envisage d’acheter un kit Starlink pour améliorer ses sessions de tutorat dans près de vingt écoles de Juba, qui sont généralement privées d’internet et d’électricité, elle souligne l’importance de consacrer des investissements d’urgence dans l’infrastructure de télécommunication du pays. Elle a bon espoir dans une initiative soutenue par la Banque mondiale qui a alloué 67 millions de dollars pour le projet. D’ici 2028, le plan est de déployer environ 2 400 km de fibre optique à travers le Soudan du Sud. »
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