Le couloir est méconnaissable. L’ascenseur a été réduit en ruines, le cadre de la porte d’entrée surplombe un grand vide. Ce jour fatidique du 15 février 1962, Jean Planchais revient précipitamment d’une célébration de Mardi Gras en famille à la campagne pour retrouver son appartement du 13e arrondissement à Paris dévasté par une bombe de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), une faction terroriste ardente de l’Algérie française. Les résidences de deux autres journalistes du Monde, Jacques Fauvet et Philippe Herreman, ont également été attaquées en même temps.
Cela commence à devenir une lugubre routine. Juste trois semaines avant, l’analyste politique Maurice Duverger, un contributeur régulier de la publication, avait aussi été la cible de l’OAS. L’appartement du fondateur et directeur du Monde, Hubert Beuve-Méry, a été la cible à deux reprises, en août 1961 et en janvier 1962. « Un amuse-gueule pour M. Beuve-Méry », avait averti une lettre OAS laissée sur les lieux lors de la première attaque. Ce jour fatidique du 15 février 1962, Jean Planchais tombe également sur une note. « Sur le monticule de débris de plafonds percés, un garde républicain m’attendait », écrit-il dans ses mémoires, Un homme du Monde (Calmann-Lévy, 1989). L’officier lui donne une enveloppe officielle : un « mot de réconfort » de Jacques Chaban-Delmas, qui était à l’époque président de l’Assemblée nationale. Malheureusement, ce n’est qu’une consolation dérisoire.
Au commencement de 1962, lorsque l’Algérie française est en train de s’effondrer, méchamment embrasée par ce qu’Yves Courrière appelait les « flambeaux de désespoir », des attaques sont perpétrées contre Le Monde. Cela résulte de la perception par les défenseurs du statu quo que la façon dont le journal explique les « événements » (un euphémisme populaire de l’époque) est « défaitiste » ou même « anti-française ». Le Monde a attiré cette attention négative suite à sa critique, à partir de 1958, de « la sorte de fascisme fortement ancrée en Algérie » cherchant un avantage stratégique à Paris, comme l’a écrit Hubert Beuve-Méry (également connu sous le pseudonyme de Sirius) dans un éditorial. Cela a provoqué la colère des militants pieds-noirs et de leurs partisans au sein de la police et de l’armée. La fermeté du journal à condamner la torture a également détérioré sa situation. Cependant, Le Monde a acquis une réputation rétrospective d’avoir éclairé les consciences et le bon sens lors de la guerre d’Algérie. En résumé, le journal est devenu un médiateur entre l’anticolonialisme militant, qui était plutôt minoritaire dans la société française de l’époque, et les centres de pouvoir qui analysaient scrupuleusement ses actions. Cet article n’est pas entièrement disponible, 92.7% de son contenu restant réservé aux abonnés.