Eugène Rwamucyo, âgé de 65 ans, a reçu une peine de vingt-sept ans d’emprisonnement par la cour d’assises de Paris le mercredi 30 octobre. Il a été reconnu coupable pour sa complicité de crimes contre l’humanité et de génocide. Grâce à la compétence universelle, la France a pu le juger pour ces actes graves indépendamment du lieu où ils ont été commis, un droit en vigueur depuis 2010. Cependant, le médecin rwandais a été acquitté des chefs d’accusation de génocide et de crimes contre l’humanité.
Me Philippe Meilhac, l’avocat de Rwamucyo, a prévu de faire appel à cette décision dès le lendemain et espère que les conditions d’appel seront plus favorables que celles du procès initial. Selon lui, ces dernières n’étaient pas à la hauteur d’un procès d’une telle importance historique.
Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), l’organisation ayant déposé plainte contre Rwamucyo en 2007, a exprimé sa satisfaction face à ce verdict, déclarant qu’il s’agit d’une vérité judiciaire prononcée.
Lors du procès qui a duré cinq semaines, le rôle précis du médecin hygiéniste Rwamucyo dans l’inhumation de dizaines de milliers de corps dans des fosses communes à Butare dans le sud du Rwanda a été interrogé. Rwamucyo a reconnu avoir coordonné l’inhumation de ces corps pour éviter une crise sanitaire supplémentaire, comme son avocat, Me Philippe Meilhac, l’a expliqué. Pour sa deuxième avocate, Françoise Mathe, il était nécessaire d’agir compte tenu des circonstances, ce qui l’a conduit à assumer cette responsabilité en raison de sa position et de ses compétences.
L’inculpé, Eugène Rwamucyo, a contesté l’allégation selon laquelle des individus blessés auraient été inhumés avec les morts au grand séminaire de Nyakibanda et à la paroisse de Nyumba. Le mercredi 30 octobre, dans sa dernière déclaration avant les délibérations du jury, il insistait sur le fait qu’il n’a jamais donné l’ordre d’exterminer les survivants, bien qu’il admette n’avoir pas toujours été irréprochable. Plusieurs témoins à l’audience, dont des rescapés des tueries et des agents d’intervention, contredisaient son récit en partageant l’horreur de voir « le Caterpillar », le véhicule de construction utilisé pour l’enterrement des corps, confondre morts et vivants dans son benne.
Devant les fosses creusées par le véhicule, Rwamucyo était équipé d’un fusil offert par les autorités, mais il maintenait qu’il ne l’a jamais utilisé. Selon l’avocate générale, Julie Pétré, il affirmait que cette arme était seulement là pour renforcer son autorité. Elle a par la suite requis une peine de trente ans de prison à son encontre. Le simple fait que Rwamucyo était présent sur les lieux des massacres était perçu par les meurtriers comme un feu vert pour tuer, une sorte de garantie morale.
Bien que le tribunal ait déclaré qu’Eugène Rwamucyo n’était pas un instigateur direct du génocide, en ne donnant pas d’ordre pour assassiner les survivants, sa sentence sévère est le reflet de sa participation génocidaire avérée, en enterrant les cadavres. Comme l’avocate Sarah Scialom l’a argué pour treize des 750 parties civiles du dossier, y compris la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme et la Fédération internationale pour les droits humains, le traitement des corps morts fait partie intégrante du génocide, puisqu’un des objectifs des massacres de masse est de déshumaniser la victime, de l’extraire de la communauté humaine. Les corps sont traités comme des déchets qu’on jette dans une fosse, facilitant ainsi la dissimulation de ces crimes atroces. Il n’est donc pas surprenant d’entendre parler de camions à ordures.
La question de savoir si Eugène Rwamucyo avait agi directement dans les meurtres restait toutefois en suspens. « Rien ne le prouve, mais sa responsabilité est doublement écrasante à nos yeux, car on peut aussi tuer avec des mots », a déclaré l’autre avocat de la Couronne, Nicolas Peron, à la fin de son réquisitoire de sept heures.
L’audience a révélé que M. Rwamucyo, qui est arrivé en France en décembre 1999 suite à un exil en Afrique, était impliqué dans le génocide, comme le souligne son cercle proche. Le 11 octobre, son avocat a appelé Jean Kambanda à la barre. Ancien Premier ministre du gouvernement intérimaire, Kambanda était au centre de la politique génocidaire. Il a témoigné par vidéoconférence depuis une prison sénégalaise où il purge une sentence de réclusion à vie décidée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), en apportant son soutien à M. Rwamucyo, le décrivant comme étant un « homme brave » qui a « fait son devoir ». Eugène Rwamucyo a également parlé de son « aîné », Ferdinand Nahimana, créateur de la Radio-télévision libre des Mille Collines (RTLM), un média qui incitait à la haine et aux massacres. Nahimana a été condamné à trente ans de prison par le TPIR.
Utilsant des termes évasifs, M. Rwamucyo a également évoqué un de ses proches, Sosthène Munyemana, qui a été condamné à vingt-quatre ans de prison en décembre 2023 par la cour d’assises de Paris pour sa participation au génocide des Tutsi.
Chaque jour au procès, M. Rwamucyo était soutenu par Callixte Mbarushimana, ancien secrétaire exécutif des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rebelle Hutu basé en République démocratique du Congo (RDC). Après avoir été interrogé par le TPIR et la Cour pénale internationale au début des années 2010, les charges contre lui lancées par le CPCR ont été abandonnées en septembre.
Le comportement d’Eugène Rwamucyo a souvent irrité Jean-Marc Lavergne, le chef du tribunal. Le vendredi 26 octobre, ce dernier a questionné Rwamucyo sur sa relation avec Jean-Bosco Barayagwiza, le créateur de la Coalition pour la défense de la République, un groupement d’extrémistes hutu, et le secrétaire du comité exécutif de la RTLM, dans laquelle l’accusé avait investi « pour un but commercial ». Rwamucyo a été vague dans ses réponses, sous-entendant qu’il est la cible d’un « procès politique ». Cependant, il faisait lui-même partie du Cercle des républicains progressistes, un groupe d’intellectuels pro-gouvernement. C’est dans ce contexte que le 14 mai 1994, devant Jean Kambanda, il a fait un discours incitant la population à se préparer « dans le cadre d’une défense civile », et donc à continuer le génocide. Ses paroles rappellent « La Marseillaise »: « Aux armes, citoyens! Formez vos bataillons… », a expliqué l’accusé.
Eugène Ramucyo, qui a été médecin en Belgique puis à l’hôpital de Maubeuge (Nord), est le huitième Rwandais à être jugé en France pour sa participation au génocide des Tutsis qui a causé la mort de 800 000 à un million de personnes au printemps 1994. Son procès s’est terminé avant le début de celui de Philippe Hategekimana, le lundi 4 novembre à Paris. En juin 2023, Hategekimana a été condamné en première instance à la réclusion à perpétuité pour avoir incité au meurtre de plusieurs Tutsis. À l’époque, il était le commandant en chef de la gendarmerie de Nyanza dans la préfecture de Butare.
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