Catégories: Actualité
|
28 octobre 2024 22 h 47 min

La Rust Belt, enjeu électoral

Partager

La Rust Belt, une région industrielle importante située dans le nord-est des États-Unis, est un point décisif de la campagne présidentielle américaine. Les candidats, Kamala Harris pour les démocrates et Donald Trump pour les républicains, y accordent une attention particulière. Ces sept États, qui se distinguent par un nombre significatif de grands électeurs, ont le potentiel de renverser le résultat de l’élection du 5 novembre.

La Rust Belt, anciennement connue sous le nom de ‘Manufacturing Belt’, s’étend du Wisconsin à la côte atlantique, au sud des Grands Lacs. Au cours de la première moitié du XXe siècle, elle était une région prospère, grâce à son industrie de l’acier, de la production de charbon et de la construction mécanique, y compris le secteur automobile. Cependant, à partir des années 1970, elle a connu un déclin industriel prononcé, aboutissant à la fermeture de nombreuses usines et à la baisse de la population des grandes villes.

Connue sous le terme de « Blue Wall », sept des principaux États de la Rust Belt votent démocrate depuis les années 1990, à l’exception de l’Indiana et de l’Ohio. Toutefois, en 2016, Donald Trump a bouleversé cette tradition en remportant cinq des sept États, trois d’entre eux par une infime marge – moins de trois points de pourcentage par rapport à son adversaire, Hillary Clinton. La victoire dans ces États reste un défi de taille pour les candidats puisqu’ils représentent à eux seuls 119 des 270 grands électeurs nécessaires pour gagner l’élection présidentielle.

Ces dernières années, la région a également dû faire face à la concurrence de l’Asie.

Entre les années 1940 et 1960, les Etats-Unis étaient des leaders reconnus dans l’industrie de la production d’acier. Cependant, à partir des années 1970, leur domination a commencé à s’effriter. Deux facteurs principaux ont contribué à ce déclin. Premièrement, la demande domestique pour les produits manufacturés a baissé car les ménages américains étaient déjà bien équipés. Deuxièmement, en 1973, un accord nommé « Steelworkers Experimental Agreement » a garanti des augmentations de salaire aux ouvriers de l’industrie sidérurgique.

Parallèlement, l’émergence de la concurrence, d’abord du Japon dans les années 1980, ensuite de la Chine dans les années 2000, avec leurs usines efficaces et leurs capacités de production élevées, a accéléré le déclin des Etats-Unis dans ce secteur.

Cette baisse a conduit à la fermeture d’un nombre considérable d’usines sidérurgiques et manufacturières, et à une diminution d’emplois industriels. Cela a profondément affecté des familles entières dont les membres travaillaient dans cette industrie de génération en génération. L’impact se voit encore aujourd’hui avec la prévalence des friches industrielles, comme Detroit, ancien pilier de l’industrie automobile.

En effet, la Bethlehem Steel à Lehigh Valley en Pennsylvanie, qui était une des aciéries les plus importantes au monde, est aujourd’hui un site abandonné et rouillé – un symbole d’un passé prospère.

Malgré tout, cette région conserve une part significative des emplois dans l’industrie sidérurgique aux Etats-Unis, avec des entreprises majeures comme Nucor, Cleveland-Cliffs et US Steel toujours opérationnelles.

En revanche, les villes se vident progressivement de leurs résidents.

La baisse significative de la démographie dans les grandes métropoles industrielles (-21% pour Chicago, -42% pour Pittsburgh et -52% pour Detroit entre 1970 et 2023) est due à la diminution de l’industrie manufacturière, un phénomène connu sous le nom de villes en déclin. Malgré les efforts de reconversion économique, cette tendance à la baisse se maintient. Bien que la population totale des États de la Rust Belt continue d’augmenter, elle le fait de manière inégale et reste largement en dessous de la moyenne du pays.

Cela a des implications sur le plan politique, car le poids de ces États dans les élections présidentielles américaines s’amenuise. Leur croissance démographique modeste entraîne une réduction du nombre de grands électeurs, qui est proportionnel à la population de chaque État. En 2000, les sept États de la Rust Belt totalisaient 140 grands électeurs, mais aujourd’hui ils n’en ont plus que 119 (sur un total de 538 pour tout le pays).

Les démocrates ont de plus en plus de mal à gagner sur ces territoires. En 2020, Joe Biden a réussi à remporter cinq des sept États de la Rust Belt, mais seulement deux avec une avance inférieure à trois points sur son opposant républicain. Seuls les comtés urbains ou très industrialisés ont massivement voté pour lui. Probablement à cause de la difficulté du discours démocrate à s’adresser à une population majoritairement blanche (à l’exception de l’Illinois, à 59%) et de classe moyenne, qui vit en dehors des grandes zones urbaines.

En 2020, les zones urbanisées aux antécédents industriels, comprenant les grandes métropoles et leurs périphéries, ont été responsables de plus de la moitié des voix pour les Démocrates. Ces chiffres augmentent jusqu’à trois quarts pour des États tels que l’Illinois et le Michigan. Ces régions sont peuplées par une jeunesse électoralement active, des travailleurs qualifiés, des travailleurs syndiqués au-dessus de la moyenne nationale et des minorités, tous réceptifs aux discours progressistes du Parti démocrate. A l’inverse, les zones rurales et les petites villes, principalement peuplées de Blancs qui se sentent négligés, tendent à voter majoritairement pour les Républicains. Ce sentiment de relégation sociale a en partie motivé le vote pour Donald Trump en 2016, qui a promis de rétablir l’Amérique à sa grandeur passée et de relocaliser ses industries.

En politique américaine, on fait référence aux « swing states » pour désigner les États où les résultats entre les deux candidats diffèrent de moins de 3 points. En 2020, Joe Biden a obtenu le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin avec des marges respectives de 154 188, 80 555 et 20 608 voix. En 2016, ces mêmes états avaient été gagnés de façon étroite par le candidat républicain, avec des écarts de 10 704, 44 292 et 22 617 voix. Ainsi, ces trois États sont l’objet d’intérêt particulier pour Donald Trump et Kamala Harris, avec en jeu 44 grands électeurs.

Il semble que la victoire en Pennsylvanie prédit la victoire à l’élection générale, un état que Biden a gagné avec une petite marge en 2020.

La Pennsylvanie est un État crucial dans les élections présidentielles, avec une forte probabilité de décider du vainqueur. En 2020, l’état a favorisé Joe Biden par une avance de plus de 80 000 voix, contrairement à 2016 lorsque Donald Trump a été préféré, mais avec une marge beaucoup plus petite – moins de 45 000 voix. La Pennsylvanie se retrouve encore une fois sous les feux de la rampe cette année avec la possibilité qu’elle influence le résultat électoral.

C’est un champ de bataille engagé pour les campagnes des deux candidats. Kamala Harris, qui a suivi les pas de Joe Biden, et Donald Trump sont tous deux bien conscients de son importance. Ils y ont tenus des rassemblements politiques de grande envergure, dont l’un, le 13 juillet à Butler, a été la cible d’une tentative d’assassinat contre le candidat républicain.

C’est également là où les deux candidats se rencontrent sur des enjeux importants, comme l’opposition à la prise de contrôle du géant américain de l’acier US Steel par son rival japonais Nippon Steel. Sur le plan électoral, résister contre cette avancée japonaise reste une question populaire, l’industrie de l’acier étant toujours vue comme un outil clé pour l’autonomie nationale.

Les votes latinos sont un autre aspect crucial de cet État. La difference pourrait être déterminée par les 579 000 électeurs hispaniques. En Pennsylvanie, 53% de la population latino sont d’origine portoricaine, traditionnellement de gauche, mais cette loyauté semble s’effriter, surtout parmi les jeunes hommes qui pourraient être tentés de voter pour Trump. Le niveau de participation de ce groupe démographique sera décisif.

Kamala Harris a changé son point de vue sur la fracturation hydraulique, également connue sous le nom de « fracking », une technique d’extraction des combustibles fossiles qui a un impact environnemental considérable. L’Etat où se situe un des plus grands réservoirs de gaz de schiste mondiaux a vu Harris défendre la fracturation hydraulique, rejoignant ainsi l’avis de Donald Trump. Lors de la campagne présidentielle de 2020, elle prônait pourtant son interdiction à l’échelle nationale. Quatre ans plus tard, la fracturation hydraulique est devenue un important fournisseur d’emplois, stimulant ainsi la croissance de l’industrie et de l’économie en Pennsylvanie.
Conception de l’Infographie : Sylvie Gittus-Pourrias
Illustrations fournies par : Audrey Lagadec
Mise en œuvre par : Véronique Malécot
Données provenant de : 270towin.com ; Commission fédérale des élections ; US Census ; Laboratoire de données électorales + sciences du MIT (Massachusetts Institute of Technology) ; Bureau of Statistic Labor ; Global Energy Monitor ; IndustrySelect ; KTH Royal Institute of Technology ; US Steel ; Département de la protection de l’environnement de Pennsylvanie.