Durant les douze dernières années, la routine pour Idris Egbunu a toujours été la même. Lorsque la saison des pluies arrive, le fleuve Niger se déchaîne, submergeant sa maison dans le centre du Nigeria pendant des semaines. Cette récurrence force ce septuagénaire à chercher un abri temporaire chez ses voisins jusqu’à ce que les eaux refluent. Puis vient le temps de la remise en état de sa demeure, du nettoyage, de la désinfection pour prévenir les maladies, de la réparation et de la reprise de la vie courante… jusqu’à l’arrivée de la prochaine période de pluie et des inondations répétitives, particulièrement courantes dans la région de Lokoja, en Kogi. Cette région est le point de rencontre du troisième plus long fleuve d’Afrique et de son affluent principal, la Bénoué.
Au Nigeria, et dans le reste de l’Afrique, le changement climatique intensifie les variations de mousson. Les catastrophes naturelles ont augmenté, menaçant la vie de millions de personnes dont les maisons et les cultures sont détruites ou endommagées, compromettant par conséquent la sécurité alimentaire dans la région. Les pluies torrentielles et les inondations majeures ont déjà affecté près de 6,9 millions de personnes en Afrique de l’Ouest et centrale en 2024, selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Selon les autorités et les résidents des zones touchées à Lokoja et ses alentours, les premières inondations ont commencé au Kogi en 2012 et se reproduisent chaque année depuis. En 2022, le Nigeria a subi ses plus graves inondations depuis dix ans, causant plus de 500 décès et le déplacement de 1,4 millions de personnes. En septembre, la ville de Maiduguri, dans le nord-est du pays, a été submergée presque à moitié en une nuit.
Sandra Musa, une consultante de la SEMA, une agence de secours locale qui travaille avec le gouverneur de Kogi, soutient que la situation actuelle, bien que « extrêmement grave » et « horriblement ravageuse », n’a pas encore atteint le niveau de gravité d’il y a deux ans. Selon ses observations, les niveaux d’eau sont en augmentation au lieu de diminuer, comme c’est généralement le cas à cette époque de l’année, affectant près de deux millions de résidents de l’État de Kogi.
Fatima Bilyaminu, une mère et entrepreneur de 31 ans, n’a d’autre choix que de se rendre à sa maison dans le quartier d’Adankolo à Lokoja en bateau. Les eaux troubles du Niger sont presque au niveau des fenêtres de sa maison en ruine, et des flottaisons de jacinthes d’eau se sont amassées contre la façade. Fatima a tout perdu, dont son lit, son mobilier, son garde-manger, ses ustensiles de cuisine, son générateur, et plus encore. Bien qu’elle ait subi plus d’une inondation, elle a déclaré qu’elle « n’a nulle part où aller » et « pas d’argent pour louer une autre maison ».
Cet événement est « une manifestation du changement climatique », et malgré le fait qu’elle essaie de réparer sa petite maison en béton avec un toit en tôle à chaque inondation, la structure de l’habitation subit des dégâts irréversibles. On note d’importantes fissures dans certaines façades, et d’autres montrent des signes d’effondrement imminent.
Malgré sa contribution minime de seulement 4% aux émissions globales de gaz à effet de serre, l’Afrique demeure extrêmement sensible au changement climatique, selon un rapport de l’Organisation Météorologique Mondiale datant de Février 2023. L’année 2024 est prévue pour être la plus chaude jamais enregistrée, suivant une année 2023 déjà record en terme de chaleur. « Cette année a vu une quantité de précipitations sans précédent. Nous avons assisté à une augmentation des évènements climatiques extrêmes, une conséquence directe du changement climatique », précise Aïda Diongue-Niang, du GIEC.
Les pluies abondantes constatées au Sahel ont été exceptionnelles en termes de volume, d’intensité et de durée, selon Amadou Diakité, responsable des prévisions et observations météo à Mali Météo. Des pluies en excès de 200% par rapport aux années précédentes ont été enregistrées dans certaines régions du Niger, menaçant même le centre historique de la ville d’Agadez, classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
Au Tchad, les pluies torrentielles ont causé la mort d’au moins 576 personnes et 1,9 million de victimes depuis Juillet, affectant ainsi 10,2% de la population, d’après un rapport de OCHA. Au Cameroun, ces mêmes pluies ont entraîné la destruction de plus de 56 000 maisons, inondé des milliers d’hectares de terres cultivables et provoqué la mort de milliers d’animaux, selon OCHA.
Monrovia au Liberia et Conakry en Guinée ont été submergées par des rivières de boue, ravivant le débat sur le déplacement de la capitale du Liberia. De plus, d’immenses zones de Bamako au Mali ont été inondées, entraînant des déchets et des effluents septiques. L’excès d’eau a causé l’écroulement de la toiture du monument historique du tombeau des Askia, à Gao, en août. Diverses nations ont dû retarder le début de l’année scolaire.
Selon Clair Barnes, chercheuse à l’Imperial College de Londres spécialisée en politiques environnementales, la fréquence des inondations a augmenté de façon inquiétante. Elle avertit qu’un problème encore plus important se profile si la combustion des énergies fossiles persiste.
Avec l’augmentation de la température mondiale, les catastrophes naturelles deviennent de plus en plus fréquentes et intenses. Les spécialistes prédisent qu’à l’horizon 2030, jusqu’à 118 millions d’Africains vivant avec moins de 2 dollars par jour seront confrontés à la sécheresse, aux inondations et à des températures extrêmes.
En Afrique, où la population ne cesse de croître, Youssouf Sané, de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie au Sénégal, juge que l’implantation désordonnée des habitations le long des fleuves et la destruction de la végétation aggrave les risques d’inondations. Il souhaite que la problématique du changement climatique soit intégrée aux plans urbains.
« Pour diminuer la fréquence de ces événements extrêmes, la « unique solution » est « de réduire les émanations de gaz à effet de serre, et cette tâche ne dépend pas d’une région spécifique, mais de l’ensemble de l’humanité », souligne Aïda Diongue-Niang, du GIEC.
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