Lorsqu’il était adolescent, Eduardo Halfon, l’écrivain guatémaltèque, a vécu un événement bouleversant. Il a été envoyé par ses parents à un camp scout juif situé au cœur de la forêt mexicaine qui s’est soudainement métamorphosé en une imitation d’un camp de concentration nazi. Halfon et ses compagnons ont été traités comme des prisonniers, abusés et dégradés afin qu’ils ressentent ce que leurs prédécesseurs avaient vécu. L’incident a été traumatisant, et a déclenché un scandale lorsque leurs parents ont découvert les pratiques de l’organisation.
Quarante années après cet évènement, alors qu’il est en résidence littéraire à Berlin, Halfon raconte cette expérience et découvre qu’un autre résident, un juif uruguayen, a vécu une situation similaire. Ce dernier a participé à un groupe de jeunesse semblable, mais a connu une épreuve moins extrême. C’est alors qu’est née l’idée de Tarentule. « J’ai cherché à briser un tabou, une approche que j’adopte souvent dans mes écrits », souligne l’auteur. En 2018, déjà dans le livre Deuils (publié par Quai Voltaire), il s’était lancé à la recherche d’un oncle dont la vie était très discrète. Cependant, comme c’est généralement le cas avec cet écrivain (né en 1971), le réel se mêle à la fiction, transformant Tarentule en un nouvel élément du complexe puzzle familial qu’il assemble, pièce par pièce, livre après livre. Cette collection de livres va de Monastère (2014) à Un fils comme un autre (2022), en incluant Le Boxeur polonais (2015) et Cancion (2021), tous publiés par Quai Voltaire.
Déracinage innocent.
L’histoire d’une scène de « Tarentule » révèle le jardinier familial enterrant un fragment du cordon ombilical d’Eduardo Halfon, nouvellement né, dans un village guatémaltèque éloigné. Le narrateur note ses racines désormais éternellement implantées. Ce commentaire est l’endroit où l’humour raffiné et plein d’autodérision du romancier se dissimule. Paradoxalement, sa véritable patrie est un lieu qu’il perçoit comme étranger. « Deuils » revient sur son existence aux États-Unis, dès l’âge de dix ans, suite à l’exil de ses parents de la guerre civile guatémaltèque des années 1980. Il révèle aussi avoir renoncé à sa langue de naissance, l’espagnol, pour adopter l’anglais et les coutumes des jeunes Américains. Cependant, son séjour aux États-Unis n’était qu’une étape sur un parcours marqué par de nombreux exils (Pologne, Liban, Egypte). « Tarentule » représente une nouvelle étape, celle de Berlin. C’est un territoire potentiellement douloureux pour un descendant d’un survivant de la Shoah déporté près de la capitale allemande. L’auteur explique: « J’apprécie la tension littéraire produite par ce sentiment d’inconfort et de déphasage, qui reste non résolu ». Observer le monde en tant qu’étranger perpétuel est la clé d’une œuvre troublée où la question de l’identité et du passé devient de plus en plus intense.
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