Dans une conversation avec l’écrivain hongrois Laszlo Krasznahorkai, même par le biais d’un ordinateur et en anglais, une différence frappante est immédiatement apparente. On trouve une dichotomie entre l’univers sombre et pessimiste que cet écrivain de renom cultive, un candidat qui est bien placé pour gagner le prix Nobel de littérature, et l’homme humble et chaleureux qu’il est – un père de trois enfants, très cultivé et classique, qui est timide à l’idée de recevoir de tels honneurs. Selon l’intellectuelle américaine Susan Sontag (1933-2004), qui le surnomma le « maître de l’apocalypse » en 1999, laszlo Krasznahorkai réfute cet éloge qui lui est souvent attribué. Il s’identifie plus à quelqu’un qui converserait avec son lecteur sur un pied d’égalité.
Laszlo Krasznahorkai, né à Gyula en 1954 près de la frontière roumaine en Transylvanie, dans une famille d’avocats en désaccord avec le régime communiste, a quitté la Hongrie pour Berlin qu’en 1987. Ses souvenirs d’enfance et de jeunesse sont teintés par le monde qui existait avant la chute du rideau de fer, un monde qu’il ne pensait jamais voir disparaître: « J’ai été élevé dans une petite ville éloignée de Budapest, un milieu bourgeois. La musique classique était une nécessité pour les enfants, chaque famille avait une grande bibliothèque à la maison, la lecture était notre passe-temps favori. Tout a pris fin avec mon service militaire obligatoire: j’y suis entré en tant qu’enfant et en suis sorti en tant qu’adulte. Sans aucun espoir. »
« Le temps uniforme »
Selon le témoignage de Krasznahorkai, la jeunesse qu’il a connue était immergée dans une atmosphère plombée par le manque de perspectives et de changements, notamment dans la Hongrie des années 1960 à 1980. Il mentionne une omniprésence dissimulée de l’armée soviétique, malgré une interdiction formelle de contact avec les habitants. La jeunesse de l’époque se sentait prisonnière d’un régime interminable qui semblait définir une réalité désespérante et éternelle. Le temps s’écoulait sans distinction entre les semaines, les jours, et même les heures. Cette perception de la vie était généralement acceptée. L’image d’un « monde libre » était vague, mais demeurait un rêve pour eux. Tous étaient fascinés par l’Occident, collectant des objets tels que des sacs en plastique, des paquets de cigarettes, ou des disques beat ou punk en Bakélite. Krasznahorkai déclare qu’il a décidé de rompre avec sa famille pour rejoindre la partie de la société hongroise la plus marginalisée. Malgré cela, il vivait de petits emplois, car il refusait de grandir.
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