Le vendredi 11 octobre à Tbilissi, lors de la cérémonie des prix Litera, une importante récompense littéraire de la Géorgie, une tension était perceptible. Malgré la présence favorable de la présidente, Salomé Zourabichvili, la ministre de la culture, Téa Tsouloukiani, a ostensiblement évité l’évènement. Simultanément, les acteurs du milieu littéraire ont abandonné leurs anciens quartiers généraux suite à la mise sous tutelle de l’institution par la ministre Tsouloukiani, qui a confié les rênes à une apparatchik détestée du milieu, Ketevan Dumbadze.
La distance entre le gouvernement géorgien et le monde littéraire est de plus en plus flagrante, l’un se tournant vers Moscou tandis que l’autre reste tourné vers l’Europe. C’est dans ce contexte tendu que se tiendront des élections législatives de grande importance le samedi 26 octobre dans cette république du Caucase de 3,7 millions d’habitants. Trente ans après l’indépendance soviétique, la littérature est de nouveau devenue un enjeu politique en Géorgie.
Le parti au pouvoir depuis 2012, « Rêve géorgien », a multiplié ces dernières années des attitudes autoritaires et des allusions à Moscou, ce qui inquiète les Géorgiens majoritairement en faveur de l’intégration européenne. Comme le souligne la romancière Tamta Mélachvili, plus de 80% de la population souhaite cette intégration, un consensus fort dans le pays. Ces dernières semaines sont ainsi vécues comme une attente insoutenable pour elle.
« Nous vivons dans l’incertitude, cependant, il est difficile pour moi d’imaginer que le Rêve géorgien remportera les élections, dit-elle en souriant, légèrement anxieuse mais apparemment rassurée par les alliances établies par l’opposition. Il s’agira probablement du taux de participation le plus élevé dans l’histoire de la Géorgie indépendante. » Tamta Mélachvili, féministe et pro-européenne, a toujours été une manifestante acharnée. Depuis 2010, elle a écrit trois romans (Merle, merle, mûre a été traduit en français et publié par Tropismes en 2023). « Mes œuvres ne sont pas politiquement axées, mais j’essaie de défier les normes », déclare cette voix d’une génération longtemps restreinte. « Née durant l’ère soviétique et ayant grandi dans la Géorgie postsoviétique, je suis fatiguée de tout cela. On m’a incitée à m’expatrier trois fois. Pourtant, je tiens à résider et écrire ici. »
Depuis 2021, de nombreux auteurs ont quitté le pays, période au cours de laquelle le lien entre l’écriture et l’autorité a commencé à s’aigrir. À l’époque, la ministr Tsouloukiani avait maladroitement essayé d’infiltrer la scène littéraire en imposant son choix pour le jury du Litera, ce qui a causé sa chute. Suite à cela, 90 % des maisons d’édition ont quitté le concours, y compris Sulakauri, Intelekti, Palitra L et Artanuji, les quatre principaux éditeurs. « Nous avons interprété cette infiltration comme une tentative initiale de contrôler la sélection et de faire taire la littérature », rapporte Natasha Lomouri.
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