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Britanniques rendent objets pillés Éthiopie

Un hommage historique se profile. Un bouclier impérial éthiopien datant du 19ème siècle est sur le point de retourner à son lieu d’origine, Addis-Abeba. C’est Ermias Sahle-Selassie, un Américain d’origine éthiopienne et petit-fils de l’ultime empereur d’Éthiopie, Haile Selassie I, qui a acheté cet objet. « Les sentiments que j’éprouve sont inexprimables », déclare le prince Ermias en exprimant son enthousiasme avant le rapatriement du bouclier prévu pour la mi-novembre au Musée national d’Ethiopie.

Ce bouclier, caractéristique de l’Abyssinie du 19e siècle, était très probablement en possession de l’empereur Tewodros en sa jeunesse, comme le précise Ermias. Tewodros II, souvent surnommé le « roi des rois », est reconnu comme le rassembleur de l’Éthiopie moderne. Le bouclier, fabriqué en cuir et décoré de plaques de métal, a une inscription qui dit : « Magdala 1868 ». Cette année-là, la reine Victoria avait déployé une armée de 13 000 hommes en Abyssinie pour libérer des otages anglais. Suite à la victoire rapide des forces britanniques, la forteresse impériale de Magdala, qui servait de capitale à l’époque, a été pillée et ses trésors ont été volés puis dispersés à travers l’Angleterre. Tewodros II s’est suicidé à la suite de ce triste événement.

Le bouclier impérial a refait surface en partie grâce à un coup du sort. Suite à sa capture lors de la guerre de 1868, il s’est volatilisé pour se retrouver dans des collections privées à travers l’Europe pendant plus d’un siècle et demi avant de réapparaître récemment. « On sait qu’à une certaine époque, il était en possession d’une importante famille aristocratique anglaise », déclare Ermias Sahle-Selassie. Le bouclier a changé de propriétaire après la Seconde Guerre mondiale. En février, l’héritier actuel souhaite s’en défaire. Mis au catalogue de la maison de vente aux enchères britannique Anderson & Garland, les autorités éthiopiennes le reconnaissent et exigent sa restitution, affirmant qu’il a été acquis de manière illégale.

Cependant, la vente est stoppée, « mais la maison d’enchères refuse de le rendre sans compensation », explique Ermias Sahle-Selassie. La seule option pour faire retourner le bouclier en Éthiopie est alors de l’acheter. « J’ai décidé de prendre les choses en main », continue le petit-fils d’Hailé Sélassie Ier, qui finit par obtenir l’objet au prix initial de vente : 1 200 livres sterling, soit environ 1 400 euros.

La chasse aux artefacts de Magdala continue.

Les Éthiopiens attachent une grande importance aux objets de Magdala – manuscrits médiévaux, couronnes royales, bijoux, boucliers et croix de l’Église orthodoxe – car leur pays n’a jamais subi un pillage d’une telle ampleur tout au long de son histoire longue de plusieurs millénaires. Le pillage a été orchestré par un envoyé du British Museum qui a réquisitionné près de 830 pièces précieuses et les a transportées à Londres en utilisant des éléphants et des mules. L’excédent d’objets a été distribué parmi les soldats. Ces biens, emportés sous l’uniforme, refont surface aux enchères ou par des découvertes accidentelles au Royaume-Uni de temps à autre, leur dispersion rendant leur localisation complexe.

Selon Andrew Heavens, auteur de « The Prince and the Plunder » (The History Press Ltd, 2023), de nombreux individus trouvent souvent des croix, des bracelets, des boucliers par hasard, dans les greniers ou parmi les objets de leurs grands-parents lors de l’administration des successions familiales. Fiona Wilson, une professeure britannique à la retraite, peut en témoigner. En 2004, elle a captivé l’attention du public en rendant à l’Éthiopie un bouclier impérial de Magdala que ses aïeux avaient conservé depuis les années 1890.

« J’ai toujours vu ce bouclier accroché au mur de notre salle à manger durant mon enfance. Ma famille croyait qu’il s’agissait d’une armure traditionnelle écossaise, » raconte-t-elle. « Lors d’un voyage professionnel en Éthiopie en 2003, j’ai pris la peine de visiter le Musée National où j’ai reconnu un bouclier semblable! » Quelques mois plus tard, elle ramenait « son » bouclier à la capitale éthiopienne, où il est exposé depuis.

Dans leur quête pour retrouver les reliques de Magdala, les autorités éthiopiennes, les bienfaiteurs et les membres de la diaspora éthiopienne scrutent souvent les catalogues des maisons de vente aux enchères. Cette chasse aux trésors rappelle celle des entrepreneurs chinois qui tentent de récupérer les biens perdues lors du pillage du Palais d’été à Pékin en 1860. L’année 2021 a vu la plus grande restitution d’objets dans l’histoire éthiopienne, une initiative privée a permis le retour d’une vingtaine d’artefacts. Ces précieux objets ont été trouvés au Royaume-Uni et acquis par l’auteur Tahir Shah, via la Fondation philanthropique Shéhérazade.

Cependant, attirer le public sur la question de la restitution s’avère difficile. Selon Alula Pankhurst, anthropologue et membre de la Fondation du patrimoine éthiopien, bien qu’il soit faisable de persuader les descendants de soldats et les maisons de vente aux enchères à restituer ou à faire don des objets, les musées se montrent résistants. A Londres, des centaines de reliques de Magdala sont conservées dans des institutions telles que le British Museum, la British Library ou le Victoria & Albert Museum. Andrew Heavens, écrivain, déplore que ces institutions se retrouvent souvent empêtrées dans des formalités administratives et juridiques qui entravent la restitution des objets, ce qui amplifie le sentiment de rancœur des pays lésés comme l’Ethiopie.

Depuis mars, une investigation par le Parlement britannique a été lancée à l’encontre du British Museum, dont les administrateurs ont été reprochés de dissimuler des informations essentielles sur onze tabots, des répliques de l’Arche d’alliance. Les tabots ont été dérobés à Magdala en 1868 et sont vénérées dans la croyance orthodoxe éthiopienne. Ils sont gardés à l’écart du public et des chercheurs depuis près de 150 ans dans les caves du musée. C’est cette privation d’accès à ces artefacts religieux qui provoque une demande des autorités éthiopiennes pour leur retour à Addis-Abeba.

En marge de cette revendication pour le rapatriement des tabots du British Museum, le gouvernement éthiopien échafaude un autre conflit symbolique avec le Royaume-Uni. Il plaide pour le retour des restes du prince Alemayehu, fils de l’empereur Tewodros II, en Ethiopie. A seulement sept ans, il a été capturé par l’armée britannique à Magdala et emmené à Londres, où il est décédé à 18 ans en 1879. Ses restes ont été enterrés dans les tombeaux de la chapelle Saint Georges du château royal de Windsor. Bien que de multiples demandes aient été faites, Buckingham Palace n’a pas consenti à transférer ses restes en Ethiopie. Cela contraste avec la restitution privée d’une mèche de cheveux du prince Alemayehu en septembre 2023. Celle-ci fut découverte parmi les possessions de la famille du capitaine Tristam Speedy, le tuteur du prince Alemayehu. Les descendants de l’officier britannique, qui ont découvert la mèche de cheveux par chance en Nouvelle-Zélande, ont voyagé à Londres pour la remettre à l’ambassade d’Ethiopie.

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