Dans le sud de la Gironde, lovée à l’ombre des gorges karstiques, s’étend une petite forêt qui s’étire sur quelques kilomètres carrés. Elle se déploie le long du Ciron, qui est un tributaire de la Garonne. La végétation dense forme à certains endroits un dôme continu au-dessus de la rivière. Si vous êtes chanceux et discret, vous pourriez y apercevoir des espèces rares et en danger, telles que le vison d’Europe.
Dans cette ambiance champêtre se cache une trésorerie biologique des millénaires : une forêt unique de hêtres, dont les secrets n’ont pas tous été percés par la science et dont l’influence reste encore obscure. Malheureusement, elle est menacée. La sauvegarde de la forêt du Ciron constitue une des raisons de la contestation contre la ligne de train à grande vitesse (LGV) planifiée entre Bordeaux et Toulouse. Les protestataires se sont mobilisés le 12 octobre à Lerm-et-Musset, une commune riveraine de la rivière, car le projet ferroviaire nécessite la construction de plusieurs traversées de la vallée où se trouve cette forêt précieuse.
Le mystère a été révélé à Alexis Ducousso lors d’une simple promenade le long du Ciron en 1993. A l’époque, ce chercheur de l’Inra (actuellement Inrae, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) a découvert par hasard des hêtres près de l’eau à Pompéjac. Notant qu’il s’agit d’une irrégularité pour cet expert en génétique forestière, il explique que « théoriquement, ils n’auraient pas dû être ici ». Le hêtre est un arbre courant dans le quart nord-est de la France et en Normandie. Cependant, dans le Sud-Ouest, le Fagus sylvatica est pratiquement inexistant, exception faite de quelques endroits bien précis et sur les versants des montagnes où il trouve la fraîcheur nécessaire à son développement.
Alexis Ducousso voit rapidement son étonnement se métamorphoser en objet de recherche. Environ deux décennies plus tard, la mise au jour d’un charbon de bois fossile dans la commune avoisinante de Bernos-Beaulac confère une nouvelle dimension à son constat initial : le carbone 14 indique que la végétation s’est perpétuée le long des rives du Ciron depuis quarante-trois mille ans. Cela fait de cette hêtraie l’une des forêts les plus anciennes de France. Les arbres qui la peuplent sont les héritiers distants des essences qui se sont réfugiées dans les gorges de la région pendant l’ère glaciaire, ce qui s’appelle espèce relique dans ce contexte.
Dégradation
Bien qu’ils aient résisté à des millénaires de changements climatiques, les habitants de la forêt du Ciron sont néanmoins vulnérables à d’autres perturbations. Vus de haut, les feuillus qui peuplent les berges de la rivière, à savoir les hêtres, mais aussi les chênes et les tilleuls, forment une petite bande encerclée de tous côtés par l’exploitation intensive du pin maritime, la forme dominante dans les landes de Gascogne.
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