Leurs destins se sont croisés sur un chemin escarpé dans les montagnes, à la périphérie d’un village corse. Leur interaction est subtile, silencieuse, ralentie par l’intense concentration caractéristique des moments final, des respirations saccadées et des adieux aux armes. Elle : peu plus de trente ans. Fraîchement célibataire, après avoir passé quinze ans avec un homme qu’elle a rencontré à l’âge de 16 ans et qui est, à 30 ans, resté un jeune homme, avec des rides naissantes et une sclérose.
Elle est infirmière en réorientation, bien qu’elle ne sache pas encore vers quoi. Depuis le début de l’été, elle parcourt la Corse dans la fourgonnette de son père, transformée pour l’occasion en camion à pizza. Après des années à être le pouls de la douleur et de la solitude des autres, cette nouvelle situation est parfaite pour faire des rencontres humaines, sans trop de proximité.
Le soir de leur première rencontre, un lundi soir, donc, il n’y avait pas beaucoup de monde. Les boules de pâte à pizza sont prêtes, bien gonflées et lisses, les sauces et les garnitures ajustées. Épuisée par sa journée à la rivière, elle se tient debout derrière le comptoir, écoutant un podcast sur l’intelligence supérieure des corbeaux. Les yeux à demi fermés, bercée par la voix dans ses écouteurs, elle ne le remarque pas arriver, sa petite stature, son sourire grand malgré sa petite taille, toujours présent malgré ce qu’il endure, une de ses incisives est cassée, laissée telle quelle, ses cheveux bien dressés, sa gentillesse débordante, qu’en d’autres périodes, sous d’autres cieux, elle aurait considérée comme de la naïveté. Tout cela est à l’aise dans un pantalon bleu marin ample et doux.
Son chignon est haut et amusant.
Il est un kinésithérapeute d’à peine quarante ans, célibataire depuis ses vingt ans, vivant et travaillant en Corse, jamais éloigné de sa famille. Il passe une grande partie de son temps à s’occuper de sa mère, qui est gravement malade depuis des mois. Sa journée consiste généralement à la faire bouger autant que possible, lui faire de la lecture, l’amuser avec des blagues, le tout dans l’espoir de la voir rire, signal qu’il l’indique que tout n’est pas entièrement perdu. Sa mère, cependant, a une appétit très faible. Lui qui a tout cuisiné imaginable pour elle, a découvert que la seule chose qu’elle avait envie de manger était une pizza margherita, vendue par le nouveau vendeur de pizzas du village.
Et donc, un lundi soir de leur première rencontre, il grimpe dans le détour et voit une femme de grande taille, sportive, avec des cheveux bruns noués haut sur sa tête. En s’approchant de son camion, elle retire brutalement ses écouteurs de ses oreilles et le regarde. Il demande la pizza et la porte à sa mère, affaissée dans son lit avec ses chats. Elle l’aime à tel point qu’elle veut en manger quelques bouchées chaque soir, pas plus.
La fin de l’histoire est réservée aux abonnés. Il leur reste à lire 33,01% de cet article.