Lettre de la Turquie
Il y a un changement d’atmosphère en Turquie concernant la violence envers les femmes, qui s’apparente à une prise de conscience collective. Malgré la fréquence des féminicides rapportés dans les médias, puis rapidement oubliés, les discussions sur ce sujet se transforment, gagnant en intensité, sinon en caractère. Ces derniers jours, des protestations spontanées ont éclaté à travers le pays, mobilisant une foule importante rarement vue auparavant. Des milliers de manifestants, principalement jeunes, expriment leur énervement et leur frustration face à l’indifférence du gouvernement turc alors que le nombre de meurtres de femmes continue d’augmenter.
Rien qu’en septembre dernier, une victime féminine a été enregistrée chaque jour, comme l’indique la Fédération des associations de femmes de Turquie. En outre, six autres morts considérées comme « suspectes » ont été recensées. Depuis le début de l’année, le nombre de féminicides s’élève à 296, un chiffre qui dépasse celui de 2023 où 315 femmes ont succombé à la violence masculine, d’après l’initiative « Nous stopperons les féminicides ». Il est à noter que vingt-huit d’entre elles avaient obtenu une ordonnance de protection délivrée par les autorités avant leur décès.
Le détonateur de ces manifestations a été le double homicide d’Ikbal Uzuner et Aysenur Halil, perpétré le 4 octobre à Istanbul par un jeune de 19 ans, ancien camarade d’école devenu leur persécuteur et qui avait déjà été signalé à maintes reprises. En l’espace d’une heure, Semih Çelik a tué Aysenur dans son propre domicile en lui coupant la gorge avant de massacrer Ikbal sur les murs historiques de la ville, dans le quartier Edirnekapı de Fatih. Il a décapité sa victime et a jeté sa tête dans l’abîme. Il s’est ensuite suicidé sur les remparts.
Les deux jeunes femmes ont été enterrées le 5 octobre. Une vague de marches commémoratives a déferlé tout au long du week-end et les jours suivants. Des groupes de défense des droits de la femme ont convoqué des rassemblements et des sit-in dans tout le pays, blâmant les « politiques d’impunité » de la coalition islamo-nationaliste au pouvoir pour cette manifestation de violence masculine.
Des pancartes et des slogans réclamant que la Turquie réintègre la Convention d’Istanbul – un accord du Conseil de l’Europe destiné à combattre les violences faites aux femmes – duquel le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan s’est retiré en 2021, étaient visibles partout. À l’époque, celui-ci avait voulu exprimer son désaccord avec la mention de la diversité des orientations sexuelles incluse dans le texte, alléguant que cela pourrait être utilisé pour « normaliser l’homosexualité », qu’il considère « incompatible avec les valeurs familiales et sociétales turques ».
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