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Côte d’Ivoire : Fesci menacé

L’autorité en Côte d’Ivoire vient d’annoncer la fin de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). Cette décision a été énoncée succinctement à la fin d’un communiqué du Conseil National de Sécurité (CNS), lors d’une réunion présidée par Alassane Ouattara le jeudi 17 octobre : « Le ministre de l’enseignement supérieur a suggéré la dissolution de l’ensemble des syndicats étudiants. Les propositions ont reçu l’approbation du CNS ». Une déclaration officielle du gouvernement devrait confirmer la dissolution du puissant syndicat étudiant, qui a été secoué par deux affaires de meurtre dans les dernières semaines.

Toutefois, les deux ministres interrogés à ce sujet se sont abstenus de faire des déclarations précises à la presse. Le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, a évité de commenter les actions liées aux procédures judiciaires. Après le conseil des ministres, il a néanmoins admis que « l’escalade de la violence dans nos universités est désormais inadmissible ».

Sollicité par Le Monde lors de la réunion bimensuelle du parti présidentiel, son porte-parole Kobenan Kouassi Adjoumani a redirigé l’enquête vers la justice. Il a affirmé que « la politique ne doit pas interférer en cas de mortalité dans un pays de droit. Si on confirme que les dirigeants actuels de la Fesci sont coupables de ces crimes, ce sera à la justice de décider du destin des personnes impliquées et de faire son travail ».

Suite à un communiqué du CNS, il a été révélé que dix-sept membres de la Fesci, y compris leur secrétaire général Sié Kambou, ont été arrêtés et placés en détention. Ces derniers font l’objet d’enquêtes criminelles liées à deux meurtres consécutifs, commis à quelques semaines d’intervalle.

Le premier meurtre concerne Khalifa Diomandé, un étudiant de 30 ans en deuxième année de master en criminologie et membre du syndicat. Il aurait été battu jusqu’à la mort à la fin d’août dans un piège tendu par des « fescistes » à l’instigation d’un certain Benié Assy, qui serait mécontent du dénouement d’une situation liée à une bourse universitaire, selon le communiqué du procureur de la République du 7 octobre. Après avoir été transporté par ses agresseurs à l’Hôpital universitaire de Cocody pour des soins, l’étudiant serait rentré chez lui où il aurait succombé à ses blessures.

Le second meurtre impliquerait l’asssassinat de Mars Aubin Déagoué, un étudiant âgé de 49 ans et connu au sein de la Fesci comme le rival de Sié Kambou. L’incident aurait eu lieu dans la nuit du 29 au 30 septembre et les autorités affirment que Déagoué aurait été enlevé et brutalisé par des individus identifiés comme membres de la Fesci.

En parallèle à l’arrestation de ces étudiants, les ministères de l’enseignement supérieur et de l’intérieur ont suspendu de manière conservatoire toutes les activités des associations syndicales étudiantes. A partir du 2 octobre, plusieurs opérations assainissantes ont été lancées dans les résidences universitaires.

En accord avec le CNS, de nombreuses interventions ont abouti à la capture d’un grand nombre d’armes blanches, y compris 107 machettes, de grenades et de différents autres équipements, surtout des uniformes militaires. Ces actions ont également conduit à la détection et l’éradication de plusieurs activités illégales, dont quatre fumeries, une maison de prostitution et un tunnel pour tortures.

Sur le front des logements étudiants, ces initiatives étaient entourés de mystère. Les pouvoirs publics ont expulsé environ 5 000 personnes se logeant irrégulièrement dans les campus d’Abidjan, de Bouake et de Daloa alors que sous-louer ces chambres constituait une source de revenus pour la Fesci. Suite à la perte de contrôle du Centre régional des œuvres universitaires (Crou) sur ces logements étudiants, la Fesci a géré l’affaire, de manière trouble.

Sous sa direction, 35% des lits dans l’université étaient occupés illégalement, soulignait mercredi Amadou Coulibaly, ce qui faisait environ 5 000 lits sur un total d’une petite quinzaine de milliers. Ces lits étaient notamment pris par des étudiants qui ne respectaient pas les conditions d’attribution ou par des travailleurs, et même des fonctionnaires.

La résolution de dissoudre l’organisation syndicale était pourtant une surprise, même parmi les observateurs, y compris dans le camp du président, jusqu’à présent divisés sur la question. « Les plus radicaux voulaient la dissolution de la Fesci », admet un cadre supérieur, mais la majorité n’en voulait pas. Ceux-ci pensent qu’il ne faut pas confondre le secrétaire général, impliqué dans ces affaires de meurtre, et la Fesci en tant qu’institution qui, selon eux, a entamé sa transformation et se présente de plus en plus comme une organisation œuvrant pour la paix sur les campus.

Malgré la controverse qui entoure ses actions et sa nature violente, la Fesci a prouvé son utilité depuis sa fondation en 1990, agissant comme une support essentiel pour les étudiants et comblant les lacunes du système universitaire. Comme le souligne Geoffroy-Julien Kouao, expert en politique, les défis auxquels font face l’école et l’université sont considérables et les étudiants voient en la Fesci le seul groupe capable de représenter leurs intérêts.

Toutes les tentatives pour supprimer la Fesci au fil des trente dernières années se sont avérées infructueuses. Quand le gouvernement d’Alassane Ouattara, alors Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, a annoncé sa dissolution en 1991, le mouvement a survécu dans la clandestinité. Puis, en 2011, suite à la destitution de Laurent Gbagbo et la transformation de la Fesci en milice dédiée à l’ancien président, on a cru que le syndicat ne pourrait plus se relever.

« Les gouvernements successifs ont choisi de tolérer la Fesci afin d’éviter de grandes grèves sur les campus universitaires », explique Geoffroy-Julien Kouao. Il faut également considérer l’aspect politique de la question. On compte en Côte d’Ivoire 8 millions d’étudiants et d’élèves, dont la majorité est, si ce n’est adhérente, du moins sympathisante de la Fesci. S’attirer les foudres de la Fesci peut mener à des conséquences néfastes lors des élections.

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