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Procès Mazan : responsabilité masculine

Chaque matin, face au tribunal d’Avignon, Gisèle Pelicot est accueillie par des centaines de femmes et quelques hommes, formant une allée d’honneur qu’elle traverse fièrement. Peu de temps après, une cinquantaine d’accusés chercheront à nier ou diminuer la gravité de leurs crimes, certains blâmant même la victime pour leurs actions. Cependant, Gisèle Pelicot reste inébranlable, sachant que, comme le dit une phrase populaire, « la honte a changé de camp ».

Les défenseurs de ceux qui font subir à Gisèle Pelicot ces crimes rappellent les mots d’Hannah Arendt sur la banalité du mal : les pires atrocités ne peuvent être commises que parce qu’elles s’enracinent dans une culture profonde. Les féminicides, les viols, les mutilations et les traitements dégradants ne sont que la partie visible d’un iceberg d’inégalités, de discriminations, d’intimidations et d’humiliations que les femmes endurent tous les jours, même dans les pays où ces actions sont en théorie interdites par la loi. Les grands drames et la peur qu’ils provoquent ont le mérite de révéler les racines du mal. Grâce à Gisèle Pelicot, des dizaines de milliers d’hommes sont confrontés à des questions qu’ils ont longtemps préféré éviter. Ceux d’entre nous, dont je fais partie, qui ont des responsabilités publiques ne peuvent s’empêcher de se demander : « avons-nous fait suffisamment ? ».

Avons-nous vraiment déraciné nos systèmes de règles, notre dialecte et nos modes de réflexion des préjugés de notre culture ancestrale patriarcale? Réfléchissons-nous avec rigueur à la façon dont les décisions que nous prenons affectent les relations entre les sexes? Avons-nous adéquatement établi toutes les normes essentielles pour éliminer les injustices que subissent les femmes dans leur éducation, travail, rémunération, vie personnelle, affective et sexuelle, libertés, désir de créer et de s’exprimer? Avons-nous instauré les institutions nécessaires pour garantir la mise en pratique des droits formels accordés aux femmes? Avons-nous pesé les menaces de recul qui guettent constamment le cheminement vers l’égalité des sexes? Avons-nous fait preuve d’une attention suffisante envers les voix féminines dans cet espace public et médiatique si saturé de voix masculines?

Grâce à Gisèle Pelicot, des dizaines de milliers d’hommes arrêtent de se cacher derrière les progrès législatifs ou la difficulté de changer par le biais des normes publiques ce qui concerne l’intime, pour éviter les questions les plus dérangeantes liées à leur intimité. Les tortionnaires de Mazan sont des hommes ordinaires de tous âges et de toutes conditions, dont le seul point commun est de s’être octroyé le droit de maltraiter une femme. Ils témoignent d’une culture publique qui continue à considérer le désir masculin comme une force incontrôlable, justifiant l’usurpation des corps féminins, y compris par la violence.

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