L’essai « Universaliser » de Souleymane Bachir Diagne, publié par Albin Michel (180 pages, prix de 19,90 euros), est une réflexion sur la possibilité d’un humanisme née de la diversité mondiale. Malgré les dangers de l’impérialisme et du repli identitaire, il vise à préserver l’idée d’une humanité partagée. Le philosophe sénégalais se réfère au concept bantou « ubuntu », qui signifie « être humain ensemble », malgré les obstacles, dans sa discussion avec l’historienne Françoise Blum. Cette conversation, qui retrace son itinéraire intellectuel et ses ambitions philosophiques, porte le titre « Ubuntu. Entretien avec Françoise Blum » et est publié aux Éditions de l’EHESS, (128 pages, à 9,50 euros).
Dans ses travaux, Diagne a souvent abordé le sujet de l’universalité. Cependant, pour la première fois, il en discute en utilisant le verbe « universaliser ». Au lieu d’utiliser le concept de « universel latéral » (emprunté à Maurice Merleau-Ponty, où toutes les cultures sont considérées au même rang), il pose la question du processus – l’action, la pratique – d’inventer ensemble une humanité commune, plutôt qu’un universel préétabli.
Selon Diagne, le défi est de reconnaître les différences sans basculer dans le piège de l’identitarisme. N’est-ce pas également la peur exprimée par ceux qui s’opposent au mouvement antiwokiste, qui y voient une menace de séparatisme?
Contrairement à mon point de vue, les détracteurs du wokisme s’engagent dans une lutte défensive. En lieu et place de la préservation de leurs communautés et du repli tribal, ils préfèrent l’universalisme désuet qui occulte le pluralisme mondial. Cependant, la conception d’un nouvel universalisme doit s’enraciner dans le pluralisme mondial, et non en dépit de celui-ci. C’est un universalisme qui ne peut véritablement prendre naissance qu’aujourd’hui, dans un contexte de décolonisation.
Quelle est la signification de votre expression « construire l’humanité grâce à des outils humains »?
Au cours des années 1950, Nelson Mandela utilisait le terme bantu d’ubuntu, que l’on peut interpréter comme « créer ensemble une humanité », pour envisager une Afrique du Sud dénuée de discrimination raciale. Il avait alors pris la décision d’abandonner la violence. Voilà ce que signifie, obtenir l’humanité par des moyens humains : opter pour des moyens qui incarnent l’objectif recherché. Pour Jean Jaurès, l’initiateur de cette idée, chaque divergence ne devrait pas se muter en isolement, mais doit s’identifier comme une fraction de l’humanité en pleine élaboration. C’est cette conviction qui l’a amené à devenir anti-colonial, bien qu’il ait été un fervent supporter de la position coloniale de Jules Ferry.
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