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Critique de l’octroi de mer

Suite à une autre nuit de désordre à la Martinique, en lien avec les protestations concernant le coût élevé de la vie, un couvre-feu et une interdiction de manifester ont été appliqués jusqu’au lundi 14 octobre. La Collectivité territoriale de Martinique, les représentants de l’État, les élus, les associations et les distributeurs poursuivent les pourparlers initiés début septembre. Le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens, le groupe à l’origine du mouvement protestataire contre le coût élevé de la vie, participe également aux discussions.

Des actions proposées pour réduire le coût de la vie incluent une réduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), et l’élimination pour 54 groupes de produits de ‘l’octroi de mer’, une taxe spécifique ayant des racines anciennes et dont l’utilité est contestée.

Une taxe héritée de l’Ancien Régime

Fondée à la Martinique en 1670 et, à l’origine, prélevée sur tous les produits arrivant par voie maritime, cette taxe est une conséquence directe des droits d’octroi perçus à l’entrée des villes pendant l’Ancien Régime. À partir du XIXe siècle, ‘l’octroi aux portes de mer’ est devenu une rentrée fiscale normale pour les communes à la Martinique (depuis 1819) avant d’être étendu à la Guadeloupe (1825), La Réunion (1850) et finalement la Guyane (1878).

La taxe, bien qu’initialement prévue pour disparaître après la Seconde Guerre mondiale avec le nouveau statut de ces territoires en tant que départements d’outre-mer, a été maintenue grâce à certaines exemptions pour compenser le manque de ressources locales. Elle est particulière aux régions ultramarines – Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion et Mayotte – et sert aujourd’hui à financer ces collectivités en taxant les biens importés, y compris ceux de la France continentale, ainsi que les produits locaux, avec un taux plus bas.

Cette taxe, qui bénéficie d’une exemption de l’Union européenne, a une logique économique protectionniste et vise à développer l’économie locale. Les autorités peuvent décider d’une taxation variable entre les biens importés et les biens produits sur place pour une liste de produits, la différenciation pouvant aller de 20 % à 30 % selon le produit.

La collecte de cette taxe est complexe en raison des nombreuses catégories d’exemptions, des taux qui peuvent être ajustés par les collectivités locales et de la pluralité des bénéficiaires (municipalités, collectivités départementales, régionales ou uniques).

En principe, l’imposition de droits de douane au sein du marché unique va à l’encontre des règles de l’Union européenne (UE), mais l’octroi de mer est l’une des mesures spécifiques accordées aux territoires ultrapériphériques ou insulaires (tels que les outre-mer français, Madère et les Açores) conformément à l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’UE. L’exemption pour cette taxe a été renouvelée en 2004, 2014 et 2021 par le Conseil de l’Union européenne. La prochaine révision de cette dérogation est prévue pour 2027.

Selon une recherche effectuée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les prix de consommation à la Martinique étaient de 14 % supérieurs par rapport à ceux de la France métropolitaine en 2022. Cependant, les différences varient en fonction des catégories examinées : les denrées alimentaires étaient 40 % plus chères, les services de communication 37 % plus chers, les dépenses liées aux loisirs et à la culture étaient 14 % plus élevées et les dépenses de santé étaient 13 % plus élevées.

Dans cette économie, une énorme majorité des produits de consommation courante sont importés (80 % des aliments viennent de la France métropolitaine) et cette taxe renforce mécaniquement les prix, comme indiqué par la Cour des comptes dans un rapport sur les effets de l’octroi de mer de 2014 à 2022. Toutefois, l’octroi de mer n’est qu’un parmi plusieurs facteurs expliquant la cherté de la vie dans les territoires ultramarins, comme une concurrence limitée ou des marges élevées qui profitent à une partie de la population ayant le plus de moyens financiers au détriment de la population la plus pauvre.

Cette taxe par habitant a connu une hausse significative depuis 2020, représentant 949 euros par an par habitant à la Martinique et 970 euros par habitant à la Guadeloupe. D’après les études et les rapports mentionnés par la Cour des comptes, l’octroi de mer contribuerait de 6 % à 10 % au niveau des prix généraux et son abolition entraînerait une réduction de 4,6 % à 7 % en moyenne des prix dans tous les territoires ultramarins.

C’est une source de revenu essentielle pour les collectivités locales.

En somme, l’octroi de mer génère 1,6 milliard d’euros pour les cinq régions ultramarines, incluant une part de 346 millions d’euros pour la Martinique. Les trois quarts de ces revenus sont généralement dirigés vers les municipalités, tandis que le quart restant est attribué aux régions. Cette taxe compte pour environ 32% des revenus des municipalités d’outre-mer (35% en Martinique), couvrant entre 43% et 57% des dépenses du personnel municipal. Pour la collectivité territoriale de Martinique, l’octroi de mer finance 8,8% des coûts opérationnels. D’après la Cour des comptes, cette taxe « permet de compenser le sous-financement des collectivités territoriales ultramarines ».

La Cour des comptes recommande une réforme profonde de cette taxe, suggérant l’introduction d’une TVA régionale. Bien que l’octroi de mer ait un impact positif sur les revenus des municipalités et leurs dépenses d’exploitation, son influence sur les investissements et le développement économique local est minimale.

Pire encore, cette taxe est en contradiction avec l’objectif de stimuler le développement économique local, selon le constat de l’administration. En effet, les collectivités locales n’ont pas réellement intérêt à entraver l’enrichissement de leurs ressources d’exploitation en favorisant une production locale qui concurrencerait les importations existantes.

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