Dans son modeste salon à Jérusalem, Nuha Attieh nettoie la table basse qui est encombrée d’objets, installe ses quatre petits-enfants avec rigidité sur le canapé et part s’habiller en s’excusant. Pour elle, le jeudi est consacré aux séances de thérapie familiale menées par les travailleuses sociales de l’ONG Médecins du Monde Suisse.
Les voix effervescentes de Selma, âgée de 8 ans, ainsi que celle de son frère Jamal, âgé de 7 ans, éclatent. « Il y en avait quatre » affirme l’un. « Non, cinq! Ils sont entrés par ici et là » rectifie l’autre. Un peu plus d’une semaine après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, les services de police israéliens ont fait irruption dans le salon familial. Nuha n’a même pas eu l’occasion de revêtir son voile. Quand elle a enquis ce que les Israéliens voulaient, ils lui ont ordonné de se taire. « L’un d’eux avait une arme, il voulait faire feu » précise Selma, même si la nature exacte de l’incident reste floue. Son innocence contraste avec la brutalité des situations qu’elle raconte.
« Tout le monde me voit comme étant forte, pourtant je ne le suis pas »
Nuha Attieh réside au bout d’une petite ruelle de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, côté palestinien de la cité. Depuis 2009, année de la première expulsion d’une famille du quartier suite à l’initiative d’un colon israélien, cette infirmière retraitée, veuve à 36 ans, vit continuellement sous la menace de perdre son logement. Elle veille à ce qu’il y ait toujours quelqu’un à l’intérieur. Durant les festivités juives, « je dors toute habillée, avec mon voile, sur le canapé », au cas où il y aurait un incident, confesse-t-elle.
La contrée de Cheikh Jarrah a été le foyer d’une vague d’opposition face à l’expansion des colons en mai 2021, attirant ainsi l’oeil de la presse internationale. La réponse violente de la police d’Israël a contribué à déclencher une guerre de onze jours à Gaza qui a suivi. Le fils de Nuha a été arrêté par les forces de l’ordre deux mois après, et elle n’a su son lieu de détention que deux mois plus tard. Il a finalement été libéré en mai 2022. « Bien que nous soyons toujours en vie, nous ne vivons pas vraiment, dit-elle, son regard plein de larmes. Parfois, je m’isole pour verser des larmes. Tout le monde me voit comme une femme forte, mais en réalité, ce n’est pas le cas. »
Récemment, la vue des tentes des déplacés alignées à Rafah, dans la partie sud de la bande de Gaza, a ravivé une peur profonde chez Nuha. Sa famille a été exilée d’un village à l’ouest de Jérusalem lors de la fondation d’Israël en 1948, là où la cité israélienne de Bet Shemesh est actuellement située. Cet exode forcé, vécu également par 700 000 autres Palestiniens, est reconnu dans l’histoire nationale comme étant la « catastrophe » ou la Nakba en arabe. « A mon âge, plus de 60 ans, c’est comme si j’étais une réfugiée dans mon propre pays, constate Nuha. C’est ce qui se passe de nouveau à Gaza. » Elle s’essuie la joue, « Cela me brise le cœur ».
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