Malgré les prévisions météorologiques, une magnifique journée s’est levée sur la baie de Dinard, située en Ille-et-Vilaine. Les murs de Saint-Malo se détachent avec éclat sur un ciel bleu clair, presque sans nuages, et l’océan scintille légèrement sous l’effet d’une faible houle. On pourrait presque croire être en croisière sur le chalutier Louis-Fage, si ce n’est pour le travail qui est sur le point de commencer à bord.
Dès après avoir franchi la zone des viviers, Jézabel Lamoureux, technicienne de la station du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Dinard, actionne l’ouverture d’un bac collecteur de sédiments, avant de le plonger dans l’eau. Une fois remonté, le contenu de l’engin – une multitude d’échantillons du milieu marin – est vidé dans un récipient placé sur le pont. De ce mélange d’algues et de coquilles, se décomposant dans une boule de boue gluante, surgit une vie variée : crabes, mollusques, poissons juvéniles, araignées de mer, ainsi que de nombreuses plantes marines. Ce sont les espèces typiques des herbiers de zostères qui se développent près du barrage de la Rance, situé non loin de là.
Le but de cette collecte est de prélever l’ADN d’un seul individu par espèce. Ce matériel génétique sera ensuite extrait, décodé et séquencé en fragments, avant d’être virtuellement reconstitué et marqué sur les régions génomiques codées. Ces échantillons contribueront à enrichir une base de données qui compile les « génomes de référence » de 4 500 organismes marins eucaryotes, c’est-à-dire des organismes aux cellules dotées d’un noyau, provenant des eaux françaises. Ce projet, nommé « Atlasea », est supervisé par le CNRS et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Les campagnes de prélèvement d’échantillons par DIVE-Sea, qu’elles soient côtières, en mer ou en profondeur, sont dirigées par le Muséum. Parmi elles, la première, qui s’est déroulée du 24 juin au 7 juillet, a fait intervenir quatre-vingts personnes le long d’une bande côtière allant du port de Cancale au cap Fréhel. Le personnel de la station de Dinard, l’équipage de Louis-Fage ainsi que des plongeurs, des pêcheurs à pied, des taxinomistes et un grand nombre de biologistes marins, de bio-informaticiens, de généticiens, etc. étaient présents.
Hugues Roest Crollius, directeur de recherche au CNRS et co-leader d’Atlasea, indique que le grand atlas des génomes du vivant est toujours en cours de dessin. Pendant ce temps, Loïc Le Goff, le « chef », positionne le navire pour un autre coup de benne. Bien sûr, après plusieurs décennies d’un effort gigantesque qui a impliqué les laboratoires internationaux et a coûté 3 milliards de dollars (environ 2,7 milliards d’euros), les biologistes ont réussi à décoder presque tout l’ensemble des 3,1 milliards de bases ou nucléotides (les lettres A, T, C, G) de l’ADN humain, du centre de leurs vingt-trois paires de chromosomes (ou centromères) jusqu’à leurs extrémités (ou télomères).
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