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6 octobre 2024 16 h 44 min

Utilisation ancienne de l’énergie animale

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Les fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel, ainsi que le nucléaire et les énergies renouvelables et décarbonées telles que l’énergie éolienne, photovoltaïque et hydraulique, sont toutes essentielles pour faire fonctionner les machines qui nous aident à produire, à nous déplacer et à nous chauffer. Cependant, une source d’énergie prédominante a été exploitée en France et dans le monde entier pour soutenir cette civilisation industrielle : l’énergie provenant des chevaux, des bovins, des ânes et même des chiens.

Dans cet épisode spécial sur l’énergie du podcast « La Fabrique du Savoir », produit en collaboration avec la Nuit de l’Energie 2024 organisée par l’Ecole Normale Supérieure, nous discutons avec l’historien François Jarrige. Actuellement maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Jarrige est un expert de l’histoire de l’industrialisation et l’auteur de La Ronde des Bêtes – Le moteur animal et la fabrique de la modernité, publié chez La Découverte.

Le 19ème siècle est souvent perçu comme le « siècle du charbon », caractérisé par des images de machines à vapeur, de moteurs à combustion et du début de l’électrification. Est-ce que cette histoire d’innovation et de progrès est fidèle à la réalité ?

Seulement en partie. L’histoire de l’énergie a souvent été racontée de manière linéaire : l’énergie animale (et humaine) a été obsolète par l’industrialisation et les moteurs à combustible fossile, suivis par le charbon rendu obsolète par le pétrole, etc. Cependant, face à l’urgence de réduire les émissions de carbone et donc de trouver une alternative aux combustibles fossiles, on réalise que l’histoire de l’énergie n’est pas une question de substitution. C’est plutôt une question d’ajout, une histoire symbiotique où différentes sources d’énergie se chevauchent et s’accumulent. Dans mon livre, « La Ronde des bêtes », j’ai cherché à repositionner une source d’énergie qui est en réalité évidente mais rarement mentionnée dans cette histoire : le moteur animal, appelé « animé » au XIXe siècle. A cette époque, à mesure que l’industrialisation se développe, le transport hippomobile n’est pas remplacé : il décuple. Le train facilite le déplacement sur de longues distances mais multiplie le besoin de trajets courts, à pied et avec des animaux de trait. Dans les usines et dans de nombreux secteurs, les animaux sont de plus en plus présents. Donc, le charbon a été incorporé à l’utilisation et au travail des animaux.
Quels animaux sont impliqués et comment sont-ils utilisés ?

Les chevaux, domestiqués depuis plus de dix mille ans, étaient principalement exploités pour les conflits militaires et le transport des élites jusqu’au XVIIIe siècle. Cependant, une soudaine expansion de leur usage dans divers domaines de travail, tels que les fermes, la construction routière urbaine et rurale, les ateliers, et les mines a été remarquée. Les chevaux étaient désormais employés dans différentes tâches comme le transport de biens, le levage de poids, l’actionnement de machines, et le broyage de matières. Par conséquent, ils ont accentué la productivité du travail tout en minimisant la charge de travail des hommes.

Par ailleurs, les chiens étaient également couramment utilisés. Dans les régions rurales, ils étaient principalement utilisés comme gardiens de troupeaux ou comme moteurs pour de nombreux artisans, comme les couteliers ou les cloutiers, remplaçant les enfants et les domestiques. À cette époque, l’industrie textile représentait le cœur de l’émergent système capitaliste. Friedrich Engels, un théoricien, a attiré l’attention sur les grandes manufactures de textile à Manchester, reconnaissables par leurs cheminées et la fumée noire dégagée par le charbon et les machines à vapeur. Cependant, la plupart des filatures de textile étaient initialement alimentées par des machines hydrauliques. En l’absence d’eau, la force humaine et animale était exploitée de manière croissante.

Mais comment les hommes percevaient-ils ces « animaux prolétaires », comme vous les nommez ? Les voyaient-ils comme des compagnons, des collègues, ou des machines ?

Il ne faut pas embellir les choses, cependant, les animaux ont été respectés. Ils représentent un investissement assez coûteux. Par conséquent, il n’est pas avantageux de les surcharger de tâches. Vers 1830, on observe que les travailleurs d’usine travaillent dix à douze heures par jour, une situation condamnée par les médecins, tandis que les chevaux ne travaillent pas plus de six heures. La Société de protection des animaux est créée en 1845. Rapidement, l’exploitation du chien est considérée comme un scandale, alors que le travail du cheval ou du boeuf reste acceptable. Un débat s’engage sur la souffrance ressentie par les animaux lorsqu’ils travaillent et certains métiers sont critiqués pour leur mauvais traitement des animaux, comme les cochers qui flagellent les chevaux en public. Des économistes, des hygiénistes et des socialistes commencent alors à se demander s’il ne faudrait pas accorder des droits aux animaux travailleurs, tout comme on commence à reconnaître les droits des travailleurs humains.
Pour quelles autres raisons allons-nous arrêter de faire travailler les animaux ?
Nous n’allons pas cesser de leur donner du travail, cependant, leur rôle va changer. Les chevaux sont utilisés pour l’extraction du charbon à la surface des mines à partir du XVIe siècle : ils font fonctionner des systèmes de transport de marchandises. Au début du XIXe siècle, les premières machines à vapeur, plus performantes, sont installées. C’est à ce moment-là que les chevaux commencent à descendre dans la mine. Ils vont progressivement disparaître dans les secteurs les plus lucratifs, comme le charbon et le textile, mais leur utilisation va perdurer jusqu’au début du XXe siècle en Europe dans les activités rurales. Ensuite, les animaux vont devenir une source d’énergie, cette fois alimentaire, pour les communautés…

En repensant à notre passé industriel, on remarque l’importance du rôle de l’énergie animale dans l’industrialisation. Au cours du 19ème siècle, plusieurs secteurs ont dépendu de la contribution des animaux dans le cadre d’un processus de concentration capitaliste. Cette étape a permis de maximiser l’énergie utilisée pour la production de marchandises, pavant la voie à l’exploitation d’énergies fossiles.

Pouvons-nous tirer des leçons de cette histoire pour repenser notre dépendance envers les énergies fossiles à l’ère actuelle?

Bien sûr, l’idée de remplacer notre consommation massive d’énergies fossiles par de l’énergie animale semble déraisonnable. De nos jours, on parle beaucoup de « décarbonisation de l’économie », mais ce concept reste abstrait. Mon exploration historique sur l’utilisation des animaux révèle qu’une première phase d’optimisation des énergies non fossiles avait été envisagée pour éviter une dépendance totale envers les énergies fossiles. Néanmoins, nous avons plongé tête baissée dans le monde des énergies fossiles. Il est donc indispensable de changer nos habitudes de vie en soutenant une diminution énergétique qui nécessite des systèmes hydrauliques, éoliens, sans oublier le travail animal. La question se pose alors de savoir comment collaborer avec les animaux sans les exploiter?

Le podcast « La fabrique du savoir » est présenté par Joséfa Lopez et Marion Dupont pour Le Monde. Il est réalisé par Diane Jean, mixé par Eyeshot, avec un article de Caroline Andrieu. La conception graphique est de Thomas Steffen. Les partenaires sont Sonia Jouneau et Cécile Juricic, et le partenaire est l’Ecole normale supérieure.

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