Que pouvons-nous vraiment comprendre d’une nation aussi vaste et généralement si secrète ? Qu’avons-nous pu en observer ? Notre vision était-elle précise et équilibrée, cherchant à percevoir la vérité et à en faire part ? L’immensité de la Chine, à la fois territoriale et démographique – avec un cinquième de la population mondiale résidant, en moyenne, depuis la création de la République populaire de Chine il y a 75 ans, le 1er octobre 1949 -, et sa transformation radicale, constituent un challenge pour les correspondants du Monde qui s’y relaient.
Les tentatives du régime de contrôler l’information, et souvent de l’étouffer, font de ce pays un cas unique. Sans les risques du journalisme de guerre inhérents à certaines régions du Moyen-Orient ou ailleurs, mais sans l’ouverture des capitales occidentales. Chaque reportage, chaque demande d’interview exige une quantité d’énergie phénoménale. C’est une discipline distincte, c’est la Chine.
Le premier numéro du Le Monde, publié à l’hiver 1944, offre une image du tumulte qui règne en Chine à cette époque, entre les troupes du Kuomintang de Tchang Kaï-chek, celles des derniers seigneurs de guerre et celles de Mao Zedong (1893-1976). En plus des dépêches d’agences de presse, cette image est renforcée par les rapports d’un « correspondant occasionnel » nommé Paul Cronier. Après un coup d’état perpétré par les forces japonaises en mars 1945, Cronier a suivi le retrait des forces françaises du Tonkin et s’est retrouvé coincé à Kunming, dans le Yunnan (sud-ouest de la Chine). Le 3 octobre 1945, il décrit une matinée animée, où dès 5 heures, des échanges de tirs entre Chinois, à travers les carrefours, avec des fusils-mitrailleurs, des mitrailleuses, et même des mortiers. Il signale une situation tendue dans leur logement (nommé « hôtel 1 »), où lui et les autres sont bloqués par les Chinois. « Les malheurs de la Chine », écrit-il.
Pour la Chine s’est terminée une ère importante. Une nouvelle période pointe son nez avec le triomphe des combattants de l’Armée populaire de libération sous Mao. Les débuts de cette ère seront dépeints dans les journaux par un homme, et presque lui seul : Robert Guillain (1908-1998). Ce journaliste avait dédié treize ans (1934-1947) à l’agence Havas, qui s’est transformée en Agence France-Presse après la Libération. Suivant une période de trois ans à Londres, il a été désigné pour rapporter le conflit mené par le Japon contre la Chine, à Shanghaï. « C’était en 1937, un temps proche et cependant un autre univers. Quand j’essaye de réfléchir à ce qui m’a le plus marqué lors de ma première arrivée en Chine à cette époque, presque tous mes souvenirs tournent autour d’un seul thème : les tragédies de la Chine », notera-t-il.
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