Dans son livre intitulé « L’Atelier du tripalium. Non, le travail n’est pas issu de la torture! » (Equateurs, 224 pages, 19 euros), la sémiologue Mariette Darrigrand souligne l’importance de la sélection de mots pour comprendre une époque et son rapport au travail.
Mariette Darrigrand s’efforce de démanteler une fausse supposition au début de son livre. Elle affirme que le mot travail ne provient pas du terme « tripalium », un instrument de torture de l’antiquité et du Moyen Age.
La sémiologue souligne que de nombreux livres sur le management ont mis en avant cette fausse origine, qui a influencé le monde du travail. Par conséquent, elle est souvent utilisée pour critiquer les dysfonctionnements organisationnels.
Selon Mariette Darrigrand, il faut prendre en compte le point de vue du lexicographe Littré du XIXème siècle pour comprendre le véritable origine du mot travail. En fait, Littré rejetait l’étymologie de « tripalium » et favorisait le mot « trabs » comme racine du mot travail, en passant par « trabe », « trave », « tref »… Cela fait référence à la branche d’un arbre, et donc au bois, qui était une matière première largement utilisée dans l’antiquité. Ainsi, les outils de travail, et plus généralement le travail – l’effort requis pour construire des charpentes, des toits, et en général, toute production – ont été progressivement associés à cela.
Mariette Darrigrand fait valoir que l’association erronée entre le travail et le « tripalium » est un précieux artefact archéologique.
En approfondissant la quête de vérité- est-ce que cette étymologie est correcte ou non ?- la sémiologie nous donne le moyen d’interpréter la trajectoire d’un mot. Tripalium était attesté au sixième siècle et il a été soutenu par les pères de l’Église. À cette époque, le chemin vers le paradis était vu comme une route ardue et pesante. Il fallait travailler intensément pour mériter sa place là-bas. C’est ainsi que l’idée que le travail cause de la souffrance à l’homme a été créditée. D’ailleurs, cette idée fut également véhiculée par le marxisme, qui soutient que le travail aliène l’homme.
Au-delà de cette trajectoire, la sémiologie nous offre également l’opportunité de scruter notre ère et de comprendre comment nos contemporains s’expriment. Et la référence au tripalium nous renseigne évidemment sur notre période actuelle. Elle nous éclaire sur l’opinion portée sur ce monde du travail actuel qui est parsemé de problèmes majeurs (burn-out, mauvaise gestion du travail, etc.).
Dans votre livre, vous expliquez que la sémiologie peut nous aider à réviser notre perspective sur le travail…
Effectivement, elle nous encourage à ne pas limiter notre vision du travail à la doxa et au langage dominant. Elle suggère ainsi d’élargir notre point de vue et de découvrir d’autres représentations, d’autres significations. En réalité, il y a une multitude d’autres conceptions du travail. En explorant l’écosystème sémantique, nous pouvons nous échapper de la vision douleureuse qui lui est inhérente et constater qu’à différents moments de notre histoire, l’opinion sur le travail était beaucoup plus positive.
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