La situation politique est-elle de plus en plus polarisée ? Le débat politique est-il le point de mire ou sont-ce simplement les points de vue des citoyens qui divergent ? Julia Cagé et Thomas Piketty argumentent, dans leur ouvrage « Elections et Inégalités sociales en France 1789-2022 » (Seuil, 2023), que la condition sociale et particulièrement les inégalités financières sont déterminantes dans le processus de vote, plutôt que les valeurs personnelles ou les « identités ». Leur affirmation est étayée par une analyse statistique sans précédent des municipalités françaises. Cependant, en ce qui concerne les choix personnels, une observation objective paraît complexe, et une analyse systématique improbable. Néanmoins, un secteur des sciences sociales ne recule pas devant ce défi, grâce à des sondages d’opinion méticuleusement élaborés.
Klaus Desmet, professeur d’économie à la Southern Methodist University, a récemment présenté une recherche en développement à l’Ecole d’économie de Paris. Elle introduit une approche innovante pour quantifier la polarisation idéologique. Ses analyses concernent principalement les Etats-Unis, mais elles pourraient (relativement) facilement être adaptées pour la France, puisqu’elles se basent sur des enquêtes internationales, comme le World Values Survey, qui interroge un grand nombre d’individus dans différents pays sur leurs valeurs (en politique, religion, éthique, économie, etc.).
L’ambition de Desmet est de former des groupes sur la base de valeurs communes et de déterminer leur uniformité et l’écart qui les sépare. Sous certaines hypothèses plausibles, il peut rassembler tous les sondés en groupes (au nombre qu’il souhaite), de telle sorte que chaque membre d’un groupe est plus proche des autres membres du même groupe que de ceux d’autres groupes.
Depuis 1981, lorsqu’il a entamé son premier sondage aux États-Unis, suivi de six autres par la suite, il a décidé de concentrer ses recherches sur un couple de groupes spécifiques. Il a noté que les proportions de ces deux collectifs étaient assez constantes, avec un groupe constituant environ 60% des sondés et l’autre environ 40%. Il a également constaté que l’écart idéologique entre ces groupes n’a pratiquement pas changé depuis 1981, ce qui réfute l’hypothèse d’une polarisation des valeurs. Par ailleurs, il a confirmé une observation déjà établie : aux États-Unis du moins, ce sont surtout des opinions d’ordre religieux et éthique, plutôt que de nature économique ou sociale, qui forment la première ligne de démarcation entre les groupes. De plus, ces opinions ne font pas véritablement de distinction entre les individus en termes de race, de classe sociale ou de sexe.
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