Christine Bard est une éminente professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers et membre senior de l’Institut universitaire de France. Son domaine d’expertise se trouve dans l’histoire des femmes, en particulier les courants féministes et antiféministes. Parmi ses publications considérables, elle a rédigé « Mon genre d’histoire » (2021, PUF) et « Féminismes. 150 ans d’idées reçues » (2023, Le Cavalier bleu).
S’exprimant sur le procès des viols de Mazan dans le Vaucluse, qui sert souvent de référence pour les grands procès ayant influencé l’histoire des mouvements féministes, elle a souligné l’importance du système judiciaire comme champ de bataille pour les droits des femmes. Certains procès se distinguent par leur symbolisme et ont laissé une marque indélébile dans l’histoire, agissant comme des catalyseurs pour le développement de la conscience sociale et des transformations législatives.
Notamment, elle a relevé l’exemple souvent négligé du procès des époux Bac en 1954 et 1955. Jugé pour la négligence ayant entraîné la mort de leur quatrième enfant, ce couple de la classe ouvrière a suscité une prise de conscience publique sur la question des grossesses non désirées. Leur condamnation à sept ans de prison a été un moment critique qui a déclenché le mouvement français pour le planning familial et la légalisation de la contraception en 1967. Le livre « Tristes grossesses » de Danièle Voldman et Annette Wieviorka, publié en 2019, retrace cette histoire.
L’affaire judiciaire de Bobigny en 1972 a été un tournant crucial dans le cheminement de la législation menant à la libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse. L’effort de Gisèle Halimi pour défendre Marie-Claire, une jeune fille de 16 ans enceinte suite à un viol, et les femmes qui l’ont assistée pour procéder à un avortement, a révélé la prévalence des avortements clandestins. L’importance de ce procès et son impact ont indéniablement joué un rôle essentiel dans l’évolution des droits des femmes depuis les années 1950.
Dans un contexte semblable, nous pouvons établir un parallèle avec le procès d’Aix-en-Provence en 1978, résultant en la modification de la définition légale du viol. Lors de ce procès, trois hommes ont été jugés pour le viol de deux femmes dans les calanques de Marseille. À cette époque, les viols étaient traités devant un tribunal correctionnel et les sanctions étaient généralement légères. Ce procès a contribué à briser le silence autour du viol, à démontrer le traumatisme profond qu’il engendre et à faire évoluer la loi.
La comparaison de ces deux affaires judiciaires est justifiée par leur impact significatif et l’indignation qu’elles ont suscitée, mais aussi par leur révélation de la prévalence de la culture du viol dans notre société. Comme c’était le cas à Aix-en-Provence, où le procès a été public et les victimes ont activement participé au mouvement féministe, Gisèle Pelicot a eu le grand courage d’affronter la publicité des débats au tribunal d’Avignon. Les audiences ont ainsi permis de mettre en avant la banalité des profils des inculpés, qui pour la plupart étaient membres de la société.
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