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1 octobre 2024 8 h 47 min

Rwamucyo jugé à Paris

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Au cours du mois de juin 1994, en Butare, une préfecture située au sud du Rwanda, Eugene Rwamucyo a-t-il supervisé l’enterrement des corps de Tutsis et a-t-il contribué à l’élimination des blessés pour supprimer les véritables preuves ? Ou a-t-il simplement servi en tant que médecin en hygiène publique, mettant en œuvre des «mesures d’hygiène et d’assainissement», comme il a toujours affirmé lors de ses interrogatoires ? La cour d’assises de Paris a pour tâche de répondre à ces questions et à de nombreuses autres dès mardi 1er octobre, date du début du procès de cet homme rwandais, maintenant âgé de 65 ans.

Cet accusé est jugé, en particulier pour des actes de «génocide», «complicité de génocide» et «crimes contre l’humanité», perpétrés lors du printemps 1994 au Rwanda. Eugene Rwamucyo est jugé en France en vertu du principe de compétence universelle, qui autorise un État à poursuivre les auteurs d’actes criminels graves peu importe où ils ont été commis, il est passible de la réclusion criminelle à perpétuité.

Cette affaire découle d’une plainte lancée en avril 2007 par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), un groupe dédié à la poursuite des auteurs présumés du génocide tutsi qui a entraîné la mort de 800 000 à un million de personnes. Cette association a précédemment mené six procès en France. En particulier, on reproche à Eugène Rwamucyo, selon l’ordonnance de mise en accusation consultée par Le Monde, d’avoir promu la haine et le meurtre des Tutsi parmi la population hutu, principalement à l’université de Butare où il enseignait. Il est spécialement reproché d’avoir tenu une réunion publique le 14 mai 1994 avec le Premier ministre Jean Kambanda, au cours de laquelle il aurait véhiculé le message des autorités via des informations extrémistes de propagande anti-tutsi.

L’accusation le considère comme un «hutu extrémiste de premier plan». Le génocide a débuté cinq semaines auparavant, le 7 avril. Les rues de Butare étaient jonchées de milliers de cadavres. Face à Jean Kambanda, condamné à la prison à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1998 pour avoir exécuté le plan d’extermination, Rwamucyo a déclaré, selon l’accusation, que les intellectuels avaient un rôle à jouer dans la défense civile et le désir d’aider le gouvernement. Selon Alain Gauthier, président du CPCR, ces déclarations démontrent que l’accusé est un «idéologue, un extrémiste hutu de premier plan».

Né en 1959 au Rwanda, dans le nord-ouest, Eugène Rwamucyo avait d’abord envisagé d’opter pour la prêtrise avant de s’orienter vers des études de médecine à l’université de Leningrad (qui est aujourd’hui connue comme Saint-Pétersbourg), en Russie. Il s’est ensuite engagé activement dans la vie politique de son pays en devenant président de cellule du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), le parti dominant du président rwandais, Juvénal Habyarimana.

En 1989, muni de son diplôme médical, Rwamucyo revient au Rwanda. Trois ans plus tard, il est employé à l’université nationale de Butare et est affecté au service d’assainissement du centre universitaire. Ici, il rejoints le Cercle des républicains progressistes – une réunion d’intellectuels extrémistes dirigée par Ferdinand Nahimana, fondateur de la Radio-Télévision libre des mille collines (RTLM). Nahimana sera plus tard condamné en 2007, à trente ans de réclusion par le TPIR, notamment pour son rôle « dans les crimes d’incitation directe et publique à commettre le génocide ».

Rwamucyo est aussi accusé d’avoir contribué à l’ensevelissement de corps, selon plusieurs témoignages. Cet acte est reconnu par cet ancien chef du service d’assainissement au ministère de la santé lors d’une confrontation avec les enquêteurs. Toutefois, selon ses dires, cela avait été fait pour des raisons d’hygiène « là où il y avait des cadavres dans la préfecture de Butare », en soulignant qu’ils « étaient des civils et qu’il n’y avait aucun survivant ».

En juin 1994, le docteur a pris la fuite du Rwanda, avant l’arrivée des forces du Front patriotique rwandais (FPR), une faction politico-militaire principalement constituée de Tutsis exilés venant d’Ouganda. Ce mouvement a pris le contrôle du pays un mois après et a mis fin au génocide. Eugène Rwamucyo, comme des milliers d’autres, a échappé par Goma, au Zaïre, qui est maintenant connu sous le nom de République démocratique du Congo. Sa dérobade l’a conduit dans plusieurs grandes villes de l’Afrique de l’Ouest, dont Dakar, Abidjan et Lomé.

En décembre 1999, Eugène Rwamucyo débarque en France sur un vol en provenance de Nairobi, au Kenya. Sa demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) est refusée car l’entité juge qu’il avait encouragé ses compatriotes à perpétrer un génocide. Malgré cela, il parvient à acquérir un titre de séjour et s’établit dans l’Essonne. Ayant obtenu un diplôme en physiologie du travail et en ergonomie de l’Université Paris IV, il rejoint le centre antipoison de Paris, puis celui de Lille. De 2008 à 2010, il est médecin du travail au centre hospitalier de Maubeuge (Nord), cependant, le non-renouvellement de son autorisation provisoire de séjour entraine son renvoi. Le 26 mai 2010, il est arrêté dans le Val-d’Oise lors des funérailles de Jean-Bosco Barayagwiza, le co-fondateur de la RTLM, et est incarcéré à la prison de Bois-d’Arcy. En septembre, la cour d’appel de Versailles refuse son extradition vers le Rwanda, malgré un mandat d’arrêt international émis trois ans auparavant. Après sa libération, M. Rwamucyo s’installe en Belgique, mais il sera finalement traduit devant un tribunal français dix ans plus tard.

Après que ses appels et cassations ont été rejetés, on attend que son procès inclue 750 parties civiles, y compris le CPCR, la Ligue des droits de l’homme et la Licra. « Si leur nombre est si élevé, c’est peut-être parce qu’on est allé les trouver, » propose Me Philippe Meilhac, l’avocat qui représente Eugène Rwamucyo ainsi que d’autres Rwandais accusés en France. « Je redoute que ce procès ne se passe pas bien, après une enquête qui aura duré quinze ans. Mais nous démontrerons que les accusations à l’encontre de mon client sont strictement reliées à son rôle de médecin. » On anticipe le verdict pour le 29 octobre.