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30 septembre 2024 8 h 44 min

Au Kenya, le mandarin emploi

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Avec sa pointe de marqueur, Shariffa Noordin dessine des idéogrammes sur le tableau blanc, chaque symbole étant souligné. Elle se tourne ensuite vers sa classe de quinze étudiants Kényans venus ce matin de septembre. Sa salle de classe est remplie en grande partie de jeunes filles, ainsi que de quelques garçons. Ces adolescents de 15 ans sont tous vêtus d’un polo rouge avec des broderies dorées, typique de la prestigieuse école Brookhouse de Nairobi. Ils étudient à partir de manuels scolaires intitulés « Mandarin for Cambridge ».

Cette institution académique, caractérisée par ses anciens bâtiments en pierre et ses pelouses nettes semblables à un terrain de golf, est située à Karen, un quartier dans le sud-ouest de la capitale. Elle compte quelque 800 étudiants, dont un grand nombre sont Kényans.

Dans cette salle d’étude, Shariffa Noordin interpelle doucement ses élèves : « Comment dit-on : “il y a trois chevaux” ? » L’une des filles, aux petites tresses, répond correctement du premier coup. « Qui se souvient du mot “oiseau” ? » Une autre main se lève, suivie d’une réponse correcte. « Dites-moi : “elle a cinq oiseaux”. » Lancée en rythme, la classe répond avec presque aucune erreur. Content de leur performance, l’enseignante acquiesce.

L’enseignement du jour se concentre sur les mesures, mené par Shariffa Noordin, qui jongle entre l’anglais et le mandarin. Elle fait comprendre à ses élèves que le mot « ordinateur » en chinois peut se traduire littéralement par « cerveau électrique » et indique que la langue ne distingue pas les temps grammaticaux. Elle aborde ensuite le sujet des pronoms démonstratifs. Une heure plus tard, l’enseignement prend fin et les étudiants se dispersent dans les couloirs. Shariffa, qui dirige le département de mandarin de l’école, observe qu’il y a de plus en plus d’étudiants intéressés par ce cours. En 2013, lors de son introduction, seuls deux ou trois étudiants y assistaient. Une décennie plus tard, le nombre moyen d’élèves est de 18, soit six fois plus qu’au départ.

Les jeunes kényans se montrent de plus en plus intéressés par l’étude du mandarin, une langue autrefois considérée comme difficile, mais qui n’intimide plus. Norbert Njoroge, fondateur de l’association Kenyan Chinese Speakers qui compte plus de 700 membres, explique qu’en 2011, il y avait très peu de classes et d’apprenants de mandarin au Kenya et aucun dans les écoles primaires et secondaires. Aujourd’hui, le Kenya abrite une quarantaine d’écoles primaires et secondaires offrant des cours de mandarin, avec une moyenne de 30 élèves par classe, soit plus de 1 000 personnes étudiant la langue.

Depuis les années 2010, l’influence chinoise au Kenya est croissante. Quatre Instituts Confucius, où le mandarin est enseigné, ont été établis dans les grandes universités du pays. On compte également environ 400 entreprises chinoises à Nairobi, avec des quartiers tels que Kilimani qui portent clairement la marque de la présence chinoise notamment par le biais de centres commerciaux avec des enseignes en caractères chinois et des hôtels où les journaux chinois sont distribués aux côtés des journaux kényans.

Steve Wakoli, professeur de mandarin à près de 200 étudiants, observe que la Chine joue un rôle de plus en plus important dans les affaires. De nombreux parents kényans font commerce avec la Chine et voient l’apprentissage du mandarin pour leurs enfants comme un atout pour leur future carrière professionnelle.

Par conséquent, en plus des cours en personne, certains kényans ont recours à l’enseignement en ligne avec des tuteurs privés. Un exemple est celui d’Emmanuel (nom changé pour des raisons de confidentialité), un garçon de 15 ans, qui, chaque jour après l’école, suit une heure de cours de mandarin en ligne avec sa tutrice, Nicole Shitolwa.

L’enseignante, Nicole Shitolwa, donne le début à la leçon en demandant à Emmanuel de montrer son travail sur l’écran. Il présente un texte agrémenté d’images de dragons et de pagodes, le tout tiré d’internet. La leçon se met en mouvement alors qu’Emmanuel déchiffre les idéogrammes à haute voix, s’étirant et jouant avec les syllabes. Le vocabulaire du voyage est le sujet du jour. De temps en temps, Nicole interrompt Emmanuel pour l’aider à travailler sur les prononciations chinoises des quatre saisons. Malgré les défis, Emmanuel donne le meilleur de lui-même pendant l’heure de cours, avec l’intention de se retrouver avec Nicole le lendemain.

En plus d’Emmanuel, Nicole enseigne à quatre autres élèves à distance. Elle travaille dans une école où elle instruit près de 400 élèves qui ont un intérêt croissant pour la langue chinoise en raison des opportunités dans le domaine de l’informatique et des jeux vidéo.

L’explosion de projets de construction et l’augmentation du tourisme en provenance d’Asie représentent également des opportunités d’emploi pour les Kényans qui parlent le chinois. Cela est illustré par Amos Aloo, un enseignant qui travaille occasionnellement comme interprète sur les chantiers de construction. Une erreur d’interprétation peut être coûteuse, souligne Norbert Njoroge. Il faut non seulement maîtriser la langue, mais aussi comprendre le contexte et la culture.

Amos Aloo a parfois l’opportunité de guider des voyageurs chinois à travers le parc national de Masaï Mara ou d’Amboseli. « Ils ne sont pas très compétents en anglais, voire pas du tout, et Google Translate ne peut pas tout résoudre! » Pour ce type de service, il demande un tarif quotidien variant entre 14 000 et 19 000 shillings (soit entre 96 et 131 euros). Ces sommes sont loin d’être insignifiantes, surtout quand on considère que 75% de la population kenyane perçoit moins de 500 000 shillings par mois.