La mort mystérieuse d’Ahmed Abdou, le jeune homme qui a tenté d’assassiner le président Azali Assoumani avec un couteau, a été l’objet d’une enquête abrupte par la justice comorienne. Il a succombé en détention le lendemain de son arrestation, suite à l’attaque du vendredi 13 septembre à la périphérie de Moroni. Malgré l’absence de clarification sur les circonstances de son décès, l’enquête a été conclue mercredi, une action que beaucoup aux Comores contestent.
Au cours de ses quinze ans de leadership, l’ex-colonel putschiste n’a jamais été la victime d’une telle violence. L’incident s’est produit lors des funérailles d’une personnalité religieuse dans le village de Salimani Itsandra, où un gendarme hors service, déguisé en civil, l’a poignardé pendant la veillée funéraire, occasionnant des blessures mineures à sa tête et à sa main. Les raisons de cette tentative d’attentat par l’homme de 24 ans, surnommé « Fanou », restent inconnues.
Abdou a été immédiatement arrêté par la police, mais a été retrouvé mort à l’aube dans sa cellule à la gendarmerie de Moroni. Les détails entourant ces quelques heures demeurent flous. Comme le parquet de Moroni a noté, lui-même a été trouvé étendu mort dans sa cellule lorsqu’ils sont venus l’interroger le samedi matin, sans aucune blessure visible par balles ou par une arme contondante ou tranchante. En conséquence, le procureur a pris la décision de ne pas poursuivre l’enquête. A present, pleins de « zones d’ombre » demeurent sur cette affaire.
À Moroni, plusieurs voix s’élèvent pour contester une décision récente. Fahmi Saïd Ibrahim, un avocat et ancien ministre de la justice, met en doute le jugement du procureur qui a souligné une mort naturelle faute de blessures apparentes, qualifiant son argument d’incohérent. Il souligne de nombreux aspects non résolus concernant le cas, notamment le manque d’autopsie sur le corps de « Fanou ».
Malgré les demandes, ni la présidence des Comores ni la brigade d’investigation de l’archipel n’ont donné suite aux questions du journal Le Monde. Le procureur a pourtant avancé que ce sont les « forces de sécurité qui ont appréhendé le jeune homme et l’ont livré aux enquêteurs » suite à l’agression présumée. Que lui ont-ils fait ? Plusieurs sources précisent que l’agresseur présumé aurait été mené au palais présidentiel, Beit-Salam, pour un interrogatoire. Puis, transféré au quartier général des renseignements à Moroni où il aurait été soumis à la torture. Son corps aurait par la suite été abandonné à la brigade de recherche de la gendarmerie pendant la nuit.
Un soldat des Comores affirme avoir été témoin de ces événements avant de se réfugier en Tanzanie. Son avocat, Saïd Larifou, a annoncé son intention de déposer une demande auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), à Genève, sollicitant la protection de son client par crainte de persécutions dans son pays d’origine. Maitre Larifou mentionne que son client a assisté à des actes de torture, sans toutefois révéler des détails sur l’identité de ce lanceur d’alerte ni fournir de preuves tangibles. L’avocat déclare également que des troupes militaires ont été déployées par les autorités comoriennes en Tanzanie pour tenter d’exfiltrer son client.
Le sommet de l’État est embarrassé par cette histoire, et il n’est pas rare qu’il fasse taire les voix dissidentes. Un blogueur de Moroni, qui a exprimé des doutes sur la version des faits donnée par les autorités, a été incarcéré pendant quatre jours. Avec une légère blessure, Azali Assoumani a fait une apparition publique pour mettre fin aux spéculations sur son état de santé, arborant un bandage sur le front une semaine après l’attaque, alors qu’il présidait une réunion gouvernementale.
Il y a également eu des accusations de népotisme. Suite à sa réélection controversée en janvier, élection qui a été entachée par beaucoup de manipulations et a déclenché d’importantes émeutes, dont une s’est soldée par la mort d’un manifestant, le pouvoir autoritaire d’Azali Assoumani est de plus en plus décrié. « Il n’existe plus de justice indépendante », regrette Daoudou Abdallah Mohamed, leader du parti Orange et candidat à la dernière élection présidentielle, qui pense que le parquet a décidé d’abandonner l’enquête sous la pression du gouvernement. « Les Comores sont devenues une entreprise familiale », dénonce cet ancien ministre de l’intérieur d’Azali Assoumani.
Les accusations de népotisme contre le président et sa famille se multiplient depuis que Nour El-Fath Azali, l’un des fils du chef de l’Etat, est devenu secrétaire général du gouvernement – un poste équivalent à celui de Premier ministre. Loukman Azali, un autre de ses fils, est à la tête de la gendarmerie sur l’île de Grande Comore. « C’est devenu un climat de terreur », raconte un journaliste comorien sous anonymat, à cause des nombreuses menaces qu’il reçoit des services de renseignements.
L’ancien membre de la commission électorale, Gérard Youssouf, qui a été contraint à l’exil en janvier après avoir dénoncé des « manipulations électorales » du président Assoumani, a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP): « C’est une trahison et une dénégation de justice par le procureur de Moroni ». Il a ajouté: « C’est une injustice de conclure une enquête qui n’est en réalité jamais survenue. Le ministère public a manqué à ses responsabilités. »
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