Dans la fraîcheur du matin en fin d’été, un vent s’agite sur les terres de Gilbert Bischeri. La journée précédente, nous avons aperçu quelques flocons de neige sur les montagnes cévenoles. À Aujac, un petit village, cet habitant du Gard examine attentivement ses vignes, sans trop se soucier du climat froid. Il estime que « Les grapes sont en excellente santé, elles ne seront cueillies qu’en octobre, pas avant », tout en dégustant une baie d’une vigne qui date de 1870. Depuis trente ans, ce septuagénaire gère environ 800 mètres carrés de vignes héritées de sa famille. Ici, il a formé une parcelle modèle, un « conservatoire de la vigne », comme il l’appelle. Toutes les variétés qu’il cultive ont une particularité commune: leur vente sous l’appellation « vin » est interdite.
Cependant, comme beaucoup d’autres vignerons de la région, Gilbert Bischeri ne cède pas. Les cépages interdits sont devenus sa priorité. Dans cette zone des Cévennes qui s’étend jusqu’aux coteaux du Mont-Lozère, du Gard et de l’Ardèche, où les vignes fleurissent sur les pentes des collines, souvent sur des parcelles étroites et inaccessibles pour les véhicules motorisés, des vignerons rebelles luttent pour faire reconnaître ces cépages hybrides, issus du croisement de vignes européennes et américaines. Ces variétés ont été interdites en France depuis 1934.
Six variétés de raisins – clinton, isabelle, noah, othello, herbemont, jacquez – importées des États-Unis au 19ème siècle, ont été interdites par le gouvernement en raison de la surproduction de vin. Ils étaient arrachés partout en France sous l’excuse qu’ils rendaient les gens fous. Cependant, dans la région des Cévennes, ces raisins ont continué à être cultivés, résistant à l’interdiction. Danny Peregrine, le directeur de l’IGP (indication géographique protégée) Cévennes, explique que les habitants des Cévennes résistaient aux forces de l’ordre qui venaient inspecter leurs vignobles, affirmant qu’ils ne déracineraient pas ce qu’ils avaient planté eux-mêmes.
Malgré l’interdiction, la culture de ces vignes a survécu, transmise de génération en génération dans cette zone rurale pauvre où la population travaillait principalement dans les mines. « Ce sont des vignes que les mineurs entretenaient pour leur propre consommation », souligne Denis Verdier, président de l’IGP Vins des Cévennes. Ces plantes robustes se prêtaient parfaitement à la culture dans cette région montagneuse rurale.
Les vins produits à partir de ces raisins étaient commercialisés en toute discrétion, malgré l’interdiction.
Aujourd’hui, des groupements tels que Fruits oubliés réseaux, dirigé par Gilbert Bischeri, et Mémoire de la vigne, fondé par Hervé Garnier en Ardèche, travaillent à promouvoir ces variétés de raisins. Cependant, la vente de leurs produits se fait toujours discrètement. Gilbert Bischeri, qui a élaboré quarante-sept vins différents et produit six cents bouteilles par an, explique qu’ils ne sont pas en mesure de les vendre, il les propose donc en échange d’une adhésion ou lors de dégustations. Ces groupements, qui ont lancé un concours de cépages interdits, ont attiré l’attention des responsables de l’IGP Cévennes. « Initialement, on nous dissuadait de perdre notre temps avec cela, disant que cela n’avait pas de valeur », raconte Danny Peregrine, « mais les dégustations nous ont prouvé le contraire ».
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