Dans son ouvrage récent intitulé « La gauche n’est pas woke », la philosophe américaine Susan Neiman met en relief une évolution notable au sein de la gauche. Durant de nombreuses générations, pencher à gauche impliquait une adhésion profonde aux principes éclairés. Trois croyances fondamentales les caractérisent: l’universalisme – l’idée que l’humanité est une entité unie, reliée par des valeurs et des idées communes indépendamment des diversités ethniques, sexuelles, culturelles et autres perspectives individuelles; la justice – l’idée que peu à peu, l’égalité et la dignité peuvent devenir une réalité et que l’idéal de la morale et de la loi n’est pas futile face au pouvoir et à la domination; et enfin, le progrès – l’idée que la condition humaine peut être améliorée et que l’histoire avance, écartant ainsi l’idée que le pire est inévitable.
Cependant, Neiman note dans son essai que ce triple idéal est de plus en plus critiqué et délaissé, notamment par la gauche ‘radicale woke’. Elle souligne que l’universalisme des droits humains est remis en question, vu comme une imposition de la domination occidentale qui réprime la diversité. La quête de justice est vue comme un discours vain qui ignore les relations de pouvoir et la perpétuation de l’exclusion. L’idée de progrès est vue comme une tromperie, un mirage conçu pour plus d’exploitation. Dans l’ensemble, les idéaux des Lumières sont considérés comme des illusions destructrices, des pièges à déconstruire. Ils doivent donc, selon cette perspective, être abandonnés, dénoncés et attaqués vigoureusement au nom d’un discours décolonial, racial, intersectionnel, ou transgenre.
Susan Neiman, une spécialiste de Kant et auteure renommée de nombreux ouvrages, notamment sur le mal et le comportement juvénile contemporain, a occupé des postes à Princeton, Yale et Tel-Aviv. Actuellement, elle vit et travaille en Allemagne. Dans son dernier livre, elle défend fermement la rationalité contre les tendances qui cherchent à s’en éloigner. Elle décrie la critique injuste faite à l’égard des Lumières, arguant que cela provient de malentendus, interprétations erronées et d’une ignorance généralisée. Selon elle, sans les trois idéaux fondateurs, la gauche n’existerait pas. Façon notable de le confirmer : pour les discréditer, leurs détracteurs adoptent souvent, sans même s’en rendre compte, des postulats hautement réactionnaires voire explicitement fascistes tels que la suprématie du sang, la préférence du terroir et la primauté du tragique. Veuillez noter que le reste de l’article (32,97%) est uniquement accessible aux abonnés.
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