Dans les périphéries de La Havane, on rencontre un paysage imposant de tours d’habitation entrecoupées de minuscules jardins individuels. Ces petites parcelles de terrain, soigneusement entretenues, sont bordées de bananiers. C’est ici que nous rencontrons Sergio (nom modifié pour des raisons de confidentialité) qui, armé de deux seaux d’eau, nourrit ses plants de tomates. Selon ses propres mots, les tomates sont un luxe qu’il ne peut se permettre de consommer. Il les cultive pour les vendre au prix fort. Pour protéger ses précieuses plantes des pucerons, il utilise une méthode simple, mais efficace, impliquant un mouchoir et un peu de savon. A l’ère de substances chimiques introuvables, même le savon peut être rare.
Occupant un emploi administratif, Sergio tire un revenu de la terre équivalent à son salaire de fonctionnaire du ministère de la santé. Il y a trois ans, avec l’aide de plusieurs de ses voisins, ils ont débroussaillé un terrain en friche pour le transformer en jardins. Maintenant, ils se relaient pour sécuriser leurs plantations des voleurs. Dans leur quartier, la nourriture est rare et le jardin est envié. Les seules denrées disponibles sont les bananes qui poussent à volonté, assurant un apport confortable en potassium pour les habitants.
Selon une étude récente de l’ONG Food Monitor Program, menée en 2024 auprès de 2 700 foyers à travers le pays, 96,27% des répondants ont signalé qu’ils avaient du mal à subvenir à leurs besoins alimentaires. Prés de 96,61% ont également indiqué que la libreta, un livret de rationnement alimentaire délivré à chaque famille, est nettement insuffisant. Les fruits et légumes, excepté les bananes et les mangues, sont de plus en plus absents de leur alimentation.
Cuba est plongée dans une crise sociale profonde en raison de la pandémie du Covid-19 et des sanctions récentes imposées par l’ex-président américain Donald Trump, qui ont été maintenues par Joe Biden. À la fin de l’année 2021, l’inflation atteignait presque 70%, mais elle a enfin baissé à environ 30% ces derniers mois, selon l’institut statistique de Cuba. La plupart des produits alimentaires doivent maintenant être importés, exacerbant ainsi les inégalités sociales à Cuba. C’est pourquoi les jardins familiaux situés à la périphérie des villes, comme celui de Sergio et de ses voisins, sont devenus cruciaux pour améliorer l’alimentation et le revenu.
« Production destinée à l’exportation »
Dans les années 1990, l’État cubain a distribué des terres en usufruit pour relancer l’agriculture qui avait été dévastée par la chute du bloc communiste. Marie Aureille, une anthropologue et doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui se spécialise dans l’agriculture cubaine, explique que « Cuba a fait des investissements massifs dans l’agriculture et, dans les années 1980, possédait le secteur agricole le plus avancé d’Amérique latine. Cependant, la production était majoritairement exportée, notamment du sucre, du tabac et des agrumes. En outre, cette agriculture était fortement dépendante des intrants agricoles : carburant, graines et fertilisants. Chaque fois que ces intrants ont manqué, que ce soit lors de l’effondrement du bloc communiste ou plus récemment avec la crise du Covid-19, l’agriculture a chuté. »
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