Selon certaines assertions, l’acte de désigner Michel Barnier comme Premier ministre par Emmanuel Macron serait comparable à une victoire pour La Manif pour tous. Cela déclencherait une révolution conservatrice, tout comme la perte de Waterloo a permis à Louis XVIII de reprendre son règne, ou la défaite de 1870 a conduit à la victoire d’Adolphe Thiers et de ses « Versaillais ». Nous n’allons pas élargir cette comparaison jusqu’à Vichy pour éviter une exagération.
La première interrogation que pose ce gouvernement concerne sa légitimité. Les électeurs ne seront plus surpris. Une vague de soutien au Rassemblement national avait été prédite, puis une récupération du Nouveau Front populaire a été confirmée, est-ce donc la droite républicaine, avec ses quarante-sept sièges, et la majorité sortante, bien que sanctionnée, qui auraient triomphé ? Après tant de mouvements sociaux puissants, tels que les « gilets jaunes », la réforme des retraites, et les agriculteurs, qui ont souligné l’affaiblissement de la représentation politique, une telle négligence semble au moins hasardeuse. Si Emmanuel Macron souhaitait arriver à ce point, pourquoi ne pas avoir permis à Lucie Castets de tenter sa chance, afin que des motions de censure puissent orienter l’opinion publique ? Il s’agit alors clairement d’une interprétation conservatrice de son rôle, dans la mesure où sa décision est celle qui préserve au mieux son propre pouvoir.
La deuxième interrogation concerne les liens apparents qui unissent une portion du gouvernement Barnier. Est-ce que La Manif pour tous a réussi à obtenir sa revanche ? En mettant l’accent sur les déclarations et les votes antérieurs de Laurence Garnier, Bruno Retailleau et Patrick Hetzel, ce récit très politique manque de perspective. Faut-il rappeler que 94% des députés de l’Union pour un mouvement populaire (anciennement Les Républicains) et 83% des députés de l’Union des démocrates et indépendants ont voté contre l’extension du mariage aux couples de même sexe en 2013 ? Il est à noter que malgré cette unanimité apparente, les positions ont souvent été plus nuancées ou paradoxales qu’elles ne le semblaient.
Alors que Gérard Larcher et Valérie Pécresse ont clairement participé aux défilés de La Manif pour tous, François Fillon, lui, a constamment refusé de les rejoindre. Est-il nécessaire de remonter encore plus loin et de rappeler que 97% des votes du Rassemblement pour la République (RPR) et 98.5% de l’Union pour la démocratie française (UDF, ex-Modem) étaient contre le pacs ? Que penser de François Bayrou qui affirmait que « s’opposer à l’adoption d’enfants par un couple homosexuel (…) c’est un combat pour la civilisation, pour l’humanité » (La Croix, 22 septembre 1998), ou de Charles de Courson qui dénonçait une « dégradation du tissu social » (Assemblée nationale, 2e séance du 8 juin 1999)? Se concentrer sur Christine Boutin [ancienne ministre du logement et de la ville du premier gouvernement Fillon] passée ou sur Laurence Garnier aujourd’hui est superficiel.
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