En Côte d’Ivoire, l’expression du droit de manifester est souvent entravée. Le vendredi 13 septembre, 25 activistes de la plate-forme Agir pour le peuple (AGIP) ont été détenus à Abidjan. Cinq jours après, 16 d’entre eux ont reçu une peine de six mois de prison ferme par le tribunal de Yopougon pour « troubles à l’ordre public ». Armand Krikpeu, le secrétaire général du groupe, est toujours détenu au pôle pénitentiaire d’Abidjan, en attente d’un jugement pour incitation à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’Etat, trouble à l’ordre public et occupation de lieux publics. Il pourrait encourir une peine de 20 ans de prison.
La marche avait pourtant été conçue comme pacifique et républicaine, respectant l’Etat de droit, selon un communiqué de la plate-forme, qui regroupe 78 groupes et associations. Vêtus de tee-shirts blancs pour symboliser leur non-violence, plusieurs centaines de manifestants devaient se rassembler à la place de la République, située au cœur du Plateau, le centre administratif et politique d’Abidjan, pour proclamer leurs demandes.
Leur première demande était la baisse des prix des denrées alimentaires et de l’électricité, dont le coût a grimpé de 10 % en janvier. Leur second point était l’arrêt des » déguerpissements » (la destruction de quartiers défavorisés) qui se déroulent depuis le début de l’année à Abidjan. Et enfin, ils demandaient l’organisation d’un dialogue politique pour prévenir une élection présidentielle « violente et chaotique » en 2025.
Malgré les assurances fournies par les responsables d’AGIP le 10 septembre en provenance de la préfecture de police, le rassemblement n’a finalement jamais eu lieu. Ils avaient annoncé leur manifestation lors d’une conférence de presse le 11 septembre mais une directive interdisant la réunion a été émise le même jour, une action qu’ils considèrent comme une preuve de la duplicité des autorités. Les premiers manifestants qui se sont fait remarquer le vendredi « ont été brutalement maltraités, le simple fait de porter un vêtement blanc pouvait conduire à une arrestation », indique Dihignité Dah Sansan, le porte-parole de la plate-forme. La préfecture de police d’Abidjan ne s’est pas exprimée sur la situation ni répondu à nos demandes.
Quelques semaines avant ces incidents, AGIP avait tenté, sans succès, de faire part de ses griefs aux autorités et avait demandé le soutien des principaux partis d’opposition. Seul le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), dirigé par l’ancien président Laurent Gbagbo, a officiellement réagi, dénonçant « la perfidie du pouvoir, les arrestations arbitraires et les condamnations injustes ». Est-ce une indication d’une relation entre AGIP et l’opposition ? « Pas du tout, nous sommes complètement indépendants », rétorque Dihignité Dah Sansan.
Il convient de noter que ce n’est pas la première fois cette année que les voix dissidentes ont été réduites au silence. En mars, une manifestation contre les expulsions avait été rapidement arrêtée et 43 personnes avaient été arrêtées. En juillet, des heurts avaient éclaté dans le quartier populaire d’Adjamé à Abidjan, encore une fois à cause de destructions de logements par des bulldozers.
Selon Hervé Delmas Kokou, directeur exécutif d’Amnesty International en Côte d’Ivoire, l’obtention d’une permission pour manifester devient presque impraticable. À mesure que l’élection présidentielle approche, Amnesty craint une intensification de la restriction d’accès à l’espace public et une diminution croissante de la contestation. Il y a quelques mois, l’organisation avait signalé une utilisation excessive de la force.
En juin, le gouvernement a émis une ordonnance destinée à améliorer le cadre de la vie associative en vue de lutter contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Cependant, l’Observatoire Ivoirien des Droits de l’Homme (OIDH) y voit une violation de la liberté de rassemblement et d’expression, tandis que de nombreux partis d’opposition dénoncent une ingérence excessive du gouvernement.
Ils sont préoccupés par la possible extension des idéologies qui prédominent maintenant au Mali et au Burkina Faso, des pays dirigés par des putschistes qui ont fait d’Abidjan un adversaire de leur cause. Kokou mentionne que chaque manifestation est perçue comme un possible complot orchestré par des forces étrangères.
En plus de demander la libération de ses militants, AGIP attend encore un geste du gouvernement pour « engager le dialogue » sur ses requêtes. À défaut, ils prévoient de manifester à nouveau le vendredi 27 septembre, avec ou sans permission. Cette fois, ils se vêtiront de rouge et de noir, les couleurs symbolisant leur colère croissante.