Avec assurance, Vaihere Tuki Haoa avance vers un tas de roches volcaniques face à la mer, s’exclamant, « Voici mes moaïs ! » Dans le sud-est de l’île de Pâques, deux gargantues endormis gisent sur le sol, le torse arrondi, les visages imperturbables levés vers le ciel. Cette guide locale de 43 ans partage avec émotion, « Mes ancêtres du clan Ngaruti les ont taillés. Cet endroit conserve la mémoire vivante de ma lignée! »
Néanmoins, les deux titans de l’Ahu (plateforme cérémonielle) One Makihi n’ont pas exactement la même apparence. Le premier a une peau blonde et un nez effilé, avec des traits, un front et des orbites parfaitement dessinés. Pour le deuxième… sombre, lépreux et délabré, les détails de son visage sont presque indiscernables. Il ressemble davantage à un énorme rocher maintenant. « Mon moaï est négligé. Il s’efface progressivement », se désole Vaihere Tuki Haoa.
Selon elle, l’Ahu One Makihi n’est pas un exemple unique. Sur l’île de Pâques (ou Rapa Nui, en polynésien), les moaïs se détériorent rapidement ; certains pensent même que ces somptueux monolithes seront réduits en sable en quelques décennies. Une telle perspective constituerait un désastre tant économique que culturel pour ce petit territoire chilien, comparable en taille à l’île d’Oléron et peuplé de 7700 habitants.
Rapa Nui, un havre reculé à 3 500 kilomètres de la côte sud-américaine, est un lieu unique, marqué par de vastes prairies peuplées de chevaux sauvages, de volcans dormants et de falaises sombres et déchiquetées. L’île est accessible après un long vol de cinq heures au-dessus du Pacifique depuis Santiago. Malgré sa petite taille et son emplacement lointain dans le vaste océan, l’endroit conserve son mystère et son charme.
Pedro Edmunds Paoa, actuel maire de Rapa Nui, comprend bien ce pouvoir de fascination de son île. A 63 ans, dont la moitié passée à tenir les rênes de la petite communauté, il ne manque jamais de raconter aux visiteurs les histoires enchanteurs de son lieu de naissance. Il parle de l’arrivée légendaire du premier roi, Hotu Matu’a, qui aurait fait le voyage depuis les Marquises en canoë, malgré les eaux difficiles, il y a près de 1 200 ou 800 ans. Il rappelle aussi que l’ancien président français Jacques Chirac, passionné d’arts premiers, rêvait d’explorer Rapa Nui, comme il l’a souvent raconté à Pedro lui-même.
Le maire est préoccupé par la situation des moaïs – ces grandes statues de pierre qui peuplent l’île. Environ mille d’entre elles se trouvent sur l’île, certaines sont debout, d’autres sont effondrées et certaines sont semi-enterrées. Elles peuvent atteindre 21 mètres de hauteur et peser jusqu’à 270 tonnes. Cependant, leur gigantesque taille cache une fragilité, car la plupart de ces monolithes ont été créés à partir de tuf provenant du volcan Rano Raraku situé au sud-est de l’île. M. Paoa explique que cette roche, bien que facile à sculpter, est extrêmement fragile et poreuse. Il déplore le fait que les statues soient constamment exposées aux intempéries – au vent, à l’eau salée, à la pluie et au soleil, ce qui les menace et les détériore chaque année. Le reste de l’article est disponible pour les abonnés, avec 74,92% du contenu restant à lire.