Yasmine (un pseudonyme qu’elle a choisi, refusant de dévoiler son vrai nom) partage discrètement son histoire, laissant de côté certains détails. Elle raconte comment son mari l’a abandonné sans divorcer il y a maintenant douze ans, marqué et transformé par la guerre. Aujourd’hui, à 52 ans, elle est habillée entièrement en noir, du voile à son long manteau.
La série de reportages intitulée « Carnets de Syrie » a été réalisée à l’été 2024. En raison de problèmes de sécurité, la plupart des personnes interviewées se présentent sous des noms d’emprunt. De la même manière, les noms des rédacteurs de ces reportages ne sont pas divulgués pour des raisons similaires.
Les yeux de Yasmine sont pénétrants et vifs, témoignant de sa résilience. Cependant, ses cernes sombres et sa silhouette frêle racontent une histoire de vie marquée par les épreuves. Elle reste muette sur le sort de son mari depuis 2012. Cette année-là, leur secteur résidentiel, le « Douwar Al-Qamar » (ou square de la Lune en français), situé entre le marché du poisson et la porte Nesrine de la vieille Alep en Syrie, est tombé sous le contrôle des rebelles.
Ce secteur, composé de petites maisons sans luxe ni confort, était principalement réputé pour ses prostituées et ses trafiquants de drogue. Beaucoup d’hommes, des travailleurs et petits commerçants sunnites, ont rejoint la rébellion. Les trafiquants de drogue, accompagnés de femmes et d’enfants, ont continué à vendre leurs produits sous un arbre du quartier, tandis que les rebelles remplissaient les caves des maisons et les tunnels de la colline adjacente d’armes et de provisions.
Yasmine a dû gérer toute seule sa famille composée de quatre filles et deux fils. Malgré son fils qui servait dans l’armée et qui a fini par perdre la vie au combat, aucune assistance ne lui a été apportée. Elle a pris soin de dissimuler son autre fils pour éviter son enrôlement par les rebelles. Malgré les insultes qu’elle recevait de part et d’autre lors de ses visites à sa mère habitant une zone contrôlée par le gouvernement, elle est restée imperturbable.
« Nous sommes délaissés par tous »
L’emplacement qui autrefois abritait son logement est désormais un terrain vague, suite à un bombardement en 2014. Yasmine vit à présent dans une maison dont elle détient les clés du propriétaire. En 2016, lorsque le quartier a été reconquis par l’armée gouvernementale, aucune présence masculine n’existait encore. Ils ont tous été tués ou se sont enfuis vers l’ultime bastion rebelle d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, ou en Turquie. Abandonné par le pouvoir, ce quartier sombre de plus en plus dans la dégradation, le trafic de drogue et la prostitution.
« On assiste à des scènes d’enfants de 7 ans en addiction aux stupéfiants, respirant de l’essence. Une fillette de 9 ans ayant déjà eu des rapports sexuels, des récits de violences et d’agressions sexuelles envers des fillettes et des garçons durant la nuit. On compte trois jeunes filles de 15 ans déjà mariées. Un enfant blessé au visage suite à un coup de couteau pour avoir salué une camarade de classe dans la rue », raconte Soumaya Hallak, la directrice de l’association 1-2-3 Hope Love Life for Peace, qui apporte son soutien aux familles du quartier.
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