Dans la littérature russe, Pétouchki est la destination idéalisée du roman autobiographique de Venedikt Erofeïev, l’écrivain soviétique qui s’égarait en voyageant en train tout en discutant profondément de questions historiques, philosophiques et politiques. Cependant, aujourd’hui, cette petite ville, située au nord-est de Moscou, est le théâtre d’une absurdité différente : le procès de trois avocats d’Alexeï Navalny.
Alexeï Liptser, Igor Sergounine et Vadim Kobzev, arrêtés en octobre 2023, ont été poursuivis judiciairement quatre mois avant la mort en prison du dissident le plus notoire contre le Kremlin de Poutine, survenue le 16 février dans des circonstances mystérieuses. Il purgeait diverses peines sévères, dont une de dix-neuf ans de prison pour « extrémisme », la même accusation retenue contre ces avocats actuellement au banc des accusés. Ils risquent jusqu’à six ans de détention.
Avant d’être déplacé dans un camp de travail forcé dans l’extrême nord de la Russie, Alexeï Navalny avait passé un long moment en prison dans la région de Vladimir. C’est dans cette même zone rurale, située à 125 kilomètres de Moscou, que ces trois avocats sont jugés discrètement aujourd’hui. Nichée au cœur des forêts, Pétouchki, petite localité sans grand intérêt mais tranquille, de moins de 15 000 résidents occupés par leurs affaires quotidiennes, est l’endroit « idéal pour un procès presque dissimulé… », commente sarcastiquement une des rares journalistes russes autorisées à assister au démarrage de la première audience le 12 septembre.
En réponse à la requête du procureur, la magistrate a déterminé que le reste du procès se déroulera à huis clos, obligeant ainsi la presse et le public à abandonner la salle d’audience. Depuis cette décision, aucune information n’a émergé de cet obscur tribunal local, un vieil édifice délabré de deux étages entouré de conifères et de bouleaux, situé au bout de la rue Lénine, juste après le seul feu de signalisation de la ville.
« Nous ne comprenons pas pourquoi la cour a choisi de mener le procès à Pétouchki. Nous avons exprimé notre désapprobation face à la mise en huis clos. Nous réclamons une justice ouverte! », affirme Andreï Orlov, l’un des défenseurs d’Alexeï Liptser, le plus jeune des trois accusés. Interrogé en face du tribunal, jeudi 19 septembre, juste avant le troisième jour du procès, il se montre extrêmement réservé. Comme ses pairs, l’huis clos l’empêche de révéler publiquement ce qui se dit et se passe à l’intérieur de la salle d’audience.
« Nous avons foi en la justice »
Mis à part Le Monde, aucun autre média, russe ou international, n’a fait le déplacement jusqu’à Pétouchki cette fois-ci. Même l’admission dans le hall d’entrée du tribunal est refusée à la presse. Les forces de l’ordre sont bien présentes tout autour, facilement identifiables. À part elles, des agents en civil surveillent également de façon plus ou moins discrète à partir de leurs voitures. « Toutes ces mesures visent à assurer la sécurité de qui? », se moque-t-on à l’entrée du tribunal.
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