En toute franchise, « Le Polonais », une œuvre récente de J. M. Coetzee, peut ne pas être considérée comme son livre le plus brillant. Ce récit succinct n’a ni le charme incessant de « En attendant les barbares » ni le génie spectaculaire de « Disgrâce » (Seuil, 1987 et 2002). Cependant, comme l’a souligné Edward Said, le critique palestino-américain, dans son essai homonyme (Actes Sud, 2012), le « style tardif » peut ne pas symboliser l’apogée d’une technique ou d’une forme, mais cela reste, pour plusieurs grands artistes, musiciens et écrivains, une riche source d’apprentissage.
C’est le cas pour Coetzee, né en 1940, qui a remporté le prix Nobel en 2003 et a deux fois reçu le prestigieux Booker Prize. « Le Polonais », écrit en anglais en 2022 et d’abord publié en espagnol, a été inclus dans un recueil de nouvelles dans quelques pays. En France, Seuil a choisi de le publier indépendamment, mettant en avant sa complexité et sa singularité.
Rencontrez Beatriz, une femme d’une quarantaine d’années, qui mène une vie discrète en tant qu’épouse d’un banquier et travaille pour un groupe qui organise des concerts à Barcelone. À côté d’elle, Witold, un pianiste polonais de 72 ans, dont le nom, rempli de « w » et de « z », est un défi trop grand pour les membres du comité pour se risquer à le prononcer. Il est expert dans les œuvres de Chopin et expose une facette de son compatriote que seuls les Polonais peuvent comprendre. C’est précisément cette « réinterprétation » de Chopin qui a mérité son invitation en Catalogne.
La rencontre entre Beatriz et Witold a lieu après le concert, mais leur relation ne s’approfondit pas. Beatriz, qui a dû remplacer une amie pendant le dîner avec Witold, ne trouve pas cette expérience impressionnante. Elle se demande si le temps passé à écouter les sons d’un piano ou d’un violon n’est pas un gaspillage, alors qu’elle pourrait aider les pauvres dans les rues. Quant au CD que Witold lui offre, elle l’oublie et néglige de l’écouter. Finalement, avec son habile détachement et son sens de l’humour, Coetzee écarte toute idée d’un amour fulgurant lié à une romance nocturne.
Cette obsession lui est étrangère.
Malgré l’admiration profonde que Witold éprouve pour Beatriz, n’ayant pas hésité à lui écrire, à retourner en Espagne pour lui dispenser une master class et même à lui proposer de le rejoindre au Brésil, elle reste insensible à ses avances. Elle éprouve de la tristesse en voyant cet homme âgé, « ridicule et dangereux pour lui-même », obsédé par elle. « Il considère peut-être ça comme de l’amour ? Pas elle. » Coetzee parsème son texte de références à Dante, qui dans ce contexte signifie « indépendante », pour accentuer l’ironie de la situation avec cette anti-Béatrice qui n’a pas du tout « envie d’être submergée par un flot de passion masculine ».
33.74% de l’article reste à lire pour les abonnés seulement.
Laisser un commentaire