Si l’on regardait le Mil, le centre agricole et gastronomique de Cuzco, Pérou, du ciel, il apparaîtrait comme un jardin d’Eden. Couvrant un hectare et demi, ce champ s’étend sur un plateau à une altitude de 3 600 mètres. Ici, une variété de tubercules andins, de céréales et de plantes médicinales sauvages poussent, bravant les vents. Ce tableau impressionnant est d’une beauté brute.
En juin, lors de notre visite, la saison des récoltes touchait à sa fin. Les champs, bordés d’agaves et de cactus, étaient passés de vert à jaune en quelques semaines, brulés par le soleil d’hiver austral, intense mais sec. Les champs avaient été labourés. Des tiges d’ichus (herbes typiques de l’Altiplano) pointaient depuis les endroits où les tubercules étaient stockés. Au sol, des tissus multicolores, ou manta, apportaient une touche de couleur au paysage ocre. C’était un moment de célébration : les agriculteurs partageaient leur récolte, buvaient de la chicha – boisson fermentée à base de maïs – et commençaient à cuire les produits récemment récoltés dans des petits fours en argile appelés huatia. Au fond, les montagnes enneigées – connues sous le nom d’Apus, les protecteurs ancestraux des habitants locaux – dominaient l’horizon. La lumière éblouissante typique des régions montagneuses offrait un spectacle changeant à chaque heure du jour.
Le centro, une petite entité nichée dans une vaste étendue, abrite Mater, un projet de recherche en biodiversité, ainsi que Mil, un restaurant discret. Son voisin est le site archéologique impressionnant de Moray, décrit par les historiens comme un laboratoire agricole datant des XVe et XVIe siècles qui fut utilisé par les Incas. Doté de terrasses circulaires à divers niveaux de profondeur, il permettait la création d’une vingtaine de microclimats distincts.
Cet espace multi-échelonné dans ses caractéristiques écologiques reste discret. Il n’y a aucun signe ni indicateur qui fait savoir aux visiteurs du restaurant qu’ils sont arrivés à destination. Le Mil, protégé par un toit de chaume, est intégré au paysage et presque invisible. Comme le souligne Malena Martinez, une des fondatrices et la sœur du chef Virgilio Martinez, leur intention était de se fondre dans ce paysage plutôt que de rivaliser avec l’immensité de Moray. L’architecte Rafael Freyre, dès son arrivée sur les lieux, a affirmé qu’il ne fallait pas chercher à rivaliser avec le site, mais plutôt le magnifier. Selon lui, plus le centre est discret, mieux c’est.
Pour confirmer votre réservation, un trajet de deux heures à partir de Cuzco, le centre administratif régional, est nécessaire avant d’emprunter une route de terre qui traverse des champs. Une maison simple apparaît ensuite, nichée en dessous d’un alignement d’arbres indigènes appelés kjolle. Ces arbres, menacés d’extinction mais appréciés pour leur bois dur, ont été réintroduits par les restaurateurs en raison de leurs qualités culinaires et médicinales. Un passage, orné de plantes autochtones, conduit à une cour spacieuse et éclairée. C’est le point focal qui connecte tous les autres espaces : le laboratoire de recherche sur les techniques de conservation, la distillerie, l’espace dédié à la création et la dégustation de spiritueux, le magasin et, à l’opposé, le restaurant gastronomique. Tout cela est de plain-pied.
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