À l’aube du 41ème millénaire, seul le conflit existe. L’espèce humaine, régie par l’Impérium oppressif, lutte pour sa survie. Quiconque est capable de manier un fusil laser est recruté comme un pion dans la bataille contre les vagues incessantes de Tyranides, une espèce extraterrestre dirigée par l’Esprit de la ruche. Malgré leur effort, les soldats impériaux semblent impuissants face à cette menace, similaires à une tapette à mouche contre un nid de frelons féroces. Heureusement, ils peuvent s’appuyer sur le renfort des Space Marines, des super-humains réalisés grâce à la thérapie génique et les agencements chirurgicaux. La dernière version du jeu vidéo « Space Marine 2 », disponible depuis le 9 septembre, permet d’incarner l’un de ces courageux combattants, le lieutenant Titus. C’est là que la magie de Warhammer 40 000 s’anime.
Quant à Warhammer 40 000, il s’agit du produit vedette de l’entreprise britannique Games Workshop, qui permet de créer des batailles à l’aide de petites figurines en plastique de 28 mm à peindre et à collectionner. Une version améliorée et enrichie des classiques petits soldats en plomb. Ces figurines engendrent un marécage de récits de fiction, allant des romans publiés par Black Library – la maison d’édition détenue par Games Workshop, à des douzaines de jeux vidéo, et prochainement, extravagance à l’écran grâce au partenariat avec Amazon Prime Video. Pourtant, cet univers n’a jamais été aussi somptueusement représenté que dans « Space Marine 2 ».
Saber Interactive, un développeur américain dont une partie de l’équipe est basée en Russie, a expliqué qu’ils voulaient illustrer le caractère épique des batailles de Warhammer 40 000 à sa pleine échelle. Cela s’est fait en étroite collaboration avec Games Workshop, vu que Warhammer 40 000 est un univers strictement codifié qui ne permet pas beaucoup d’interprétations. Saber Interactive a révélé avoir eu des discussions hebdomadaires avec Games Workshop pour s’assurer que leur interprétation était fidèle à l’original, et que leurs idées ont été approuvées.
Le monde de Warhammer 40 000, plus précisément les Space Marines, a connu une évolution constante. Pour imaginer ce que ressent un fan de Warhammer 40 000 lorsqu’il joue Space Marine 2, c’est comme un passionné du Seigneur des anneaux qui découvre sur grand écran les batailles du Gouffre de Helm ou des champs du Pelennor. Bob Naismith, qui a contribué à l’élaboration de la première figurine de Space Marines en 1987, a exprimé son enthousiasme à voir les figurines de table avec lesquelles ils jouaient à l’époque transposées dans des illustrations et des environnements de jeu à couper le souffle, offrant au public la possibilité de les voir comme s’ils étaient « réels ».
Même si l’image du Space Marine est standardisée, elle a connu une évolution considérable depuis 1987. Initialement inspirée par des références comme les US Marine, Star Wars, Terminator ou les bandes dessinées telles que 2000 AD, d’autres éléments s’y sont ajoutés au fil des années. Bob Naismith, un ancien employé de Games Workshop qui continue de sculpter des figurines de manière indépendante, explique que le développement du jeu a nécessité l’introduction d’un facteur « wow » aux figurines. Une méthode efficace pour y arriver a été de proposer de nouvelles sculptures plus imposantes afin d’augmenter leur présence sur le plateau de jeu. La dernière iteration des Space Marines – celle visible dans Space Marine 2 – a fait son apparition en 2017.
Au cours des ans, la dystopie de Warhammer 40 000 s’est enrichie de nouvelles influences pour enrichir son histoire. Les symboles de l’Imperium, l’administration qui gère les humains, évoquent des esthétiques fascistes. Comme l’a clarifié Games Workshop en 2021, Warhammer 40 000, est une « satire ». « C’est une civilisation horrifique et cette horreur est manifeste pour tout le monde », ont-ils déclaré. Si quelqu’un se présente à un événement ou un magasin Games Workshop portant des symboles de groupes haineux du monde réel, il sera invité à partir.
« C’est une époque d’ignorance et de superstitions. »
Un aspect souvent critiqué de l’univers de Warhammer 40 000, qui pourrait surprendre dans Space Marine 2, est l’absence de personnage féminin jouable. C’est pourtant en accord avec la tradition du jeu de figurines qui stipule que les Space Marines sont exclusivement masculins. Thibaut Claudel, auteur de Warhammer 40 000, Sculpter la guerre (2023, Third Editions), explique qu’il y a eu des prototypes de Space Marines féminins au début, mais que les joueurs, majoritairement masculins, n’y ont pas vraiment montré d’intérêt, d’où la masculinité des Space Marines dans le récit de Warhammer 40 000. Cependant, une portion de la communauté est ouverte à l’idée d’un changement.
Andy Thomas-Clark, dans l’édition d’août de White Dwarf, le magazine officiel publié par Games Workshop, souligne que le 41ème millénaire est une époque de mythes et d’ignorance. Les archives qui éclairent sur la structure des différents chapitres de Space Marine sont soit effacées sous la poussière, soit cachées derrière des codes d’accès perdus, ce qui les rend virtuellement inaccessibles. En résumé : rien n’empêche une nouvelle révélation de bouleverser l’univers établi. Thibaut Claudel conclut : « La vérité d’hier peut ne pas être celle d’aujourd’hui. Ceci diffère des franchises telles que Star Wars ou Marvel, qui ont officialisé leur histoire. Games Workshop aime ajouter de nouveaux éléments à l’histoire et voir comment les joueurs les interprètent ».
L’introduction d’une référence féminine à l’un des guerriers Custodes dans un livre de règles publié en avril 2024 par Games Workshop a provoqué une vive réaction parmi certains fans, la qualifiant d’hérésie. Cette évolution a même permis la mise en avant d’une héroïne dans un épisode de la série animée The Tithes, produite et diffusée par Games Workshop sur sa plateforme de streaming. Selon Thibaut Claudel, cette polémique autour des guerriers Custodes féminins s’est rapidement propagée bien au-delà de la communauté fanatique de Warhammer 40 000, avec la participation de certains individus associés au Gamergate et d’autres individus moins respectables qui ont vu cela comme un exemple supplémentaire de « wokisation ». Toutefois, cette modification mineure ne nécessitait en réalité aucune nouvelle figurine et a attiré l’attention de nombreux individus qui ont défendu ce changement et affirmé qu’il était parfaitement justifiable.
Par ailleurs, la question de la responsabilité de Games Workshop dans cette situation a été soulevée. Thibaut Claudel indique que l’histoire du créateur, fondamentalement ancrée dans une culture masculine, a inévitablement influencé l’ensemble de l’univers de la plateforme. Il souligne que parmi la quarantaine d’auteurs référencés à la Black Librairy, seulement une est une femme. De plus, les fondateurs de Games Workshop, ainsi que Rick Priestley, l’initiateur de Warhammer 40 000, sont également des hommes.
Au cours des dernières années, l’éditeur a démontré sa volonté de challenger les aspects fondamentaux de ses mondes. Ainsi, Games Workshop a pris la décision audacieuse de mettre un terme à l’un de ses jeux les plus appréciés, Warhammer Battles, initié en 1983, et de le substituer par un autre, Age of Sigmar. « On perçoit que c’est un monde qui a été façonné en 2015 », fait remarquer Thibaut Claudel. Les [guerriers] Stormcasts, hommes ou femmes indistinctement, en sont l’élément phare. Est-ce que Games Workshop serait disposé à faire la même chose avec ses Space Marines qui approchent les 40 ans ? Pour l’instant, rien ne l’indique ; mais au 41ème millénaire, tout est envisageable.