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12 septembre 2024 3 h 44 min

Décès d’Alberto Fujimori

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Alberto Fujimori, l’ex-chef d’État péruvien, a quitté ce monde le mercredi 11 septembre, à l’âge de 86 ans, à Lima, Pérou. Suite à un long combat contre le cancer, il a rendu l’âme, comme l’ont rapporté ses fils Keiko, Hiro, Sachie et Kenji Fujimori sur une plateforme de médias sociaux X. Ils ont exprimé leur gratitude envers leur père et ont sollicité l’accompagnement en prières pour le repos éternel de son âme de ceux qui l’ont apprécié.

Fujimori, l’ancien dirigeant autocratique connu pour sa poigne de fer qui a gouverné le Pérou pendant une décennie, avait été libéré de sa détention neuf mois plus tôt par une décision du Tribunal constitutionnel en décembre 2023. Ceci alors qu’il purgeait une peine de 25 ans pour violations des droits humains et corruption commises pendant sa présidence entre 1990 et 2000.

Fujimori reste assurément une figure qui suscite la controverse dans l’histoire du Pérou. Il est une personne que certains haïssent et que d’autres vénèrent. Les opinions divergentes sur le sort de Fujimori ne cessent de provoquer des débats passionnés dans un pays divisé par l’opinion à son sujet.

Né à Lima le 28 juillet 1938, ce descendant d’immigrants japonais était une figure méconnue lorsqu’il se présente pour la première fois aux élections présidentielles en 1990. Anciennement recteur de l’université agraire de La Molina, sa carrière politique était inexistante. Malgré sa campagne modeste, comparativement à celle de l’écrivain millionnaire Mario Vargas Llosa soutenu par la droite, son échec semblait inévitable. Cependant, cet ingénieur agronome suscite l’étonnement en accédant au second tour des élections en avril 1990. Sa campagne, articulée autour des quartiers les plus défavorisés et son statut d’outsider face aux politiciens traditionnels, attire l’attention.

À cette époque, le Pérou était en proie à une crise économique majeure, avec une inflation atteignant 7 500% et un conflit armé de plus en plus intense depuis 1980 entre les forces de l’ordre et les guérillas d’extrême gauche du Sentier lumineux et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, sans véritable issue en vue. Dans ce climat, la candidature du désormais célèbre « Chino » (un surnom qui fait référence à ses racines asiatiques) suscite un optimisme incroyable parmi les Péruviens qui, allant à l’encontre de toutes les prévisions, l’élisent président avec le soutien des partis de gauche.

« L’effet Fuji » est lancé.

Alberto Fujimori, peu de temps après sa prise de fonction, surprend les électeurs en instaurant une politique économique radicale pour sortir le Pérou de la crise. La mesure, plus sévère que les recommandations de ses adversaires pendant la campagne, qu’il avait vivement critiquées, marque le premier revirement important du nouveau président. Il a également pris une décision controversée en procédant à la dissolution forcée du Congrès le 5 avril 1992, une action appelée « auto-coup d’Etat ». Bien que populaire, cette action contrecarre les principes démocratiques. Face aux accusations de dictature, Fujimori riposte en convoquant une assemblée constituante pour formuler une nouvelle loi fondamentale, qui est ensuite approuvée par référendum. Cette nouvelle Constitution accorde à l’État un rôle secondaire par rapport à l’activité privée.

Réélu en 1995, Fujimori bénéficie d’un large soutien, particulièrement dans les zones défavorisées qui lui sont reconnaissantes pour la construction d’écoles et de routes dans ces quartiers durant son mandat. Toutefois, alors qu’il tente une troisième fois de se faire élire en 2000 malgré l’interdiction de la Constitution, des accusations de fraude planent sur sa victoire. La situation du président péruvien commence alors à se dégrader. Son principal conseiller et fidèle allié depuis le début des années 1990, Vladimir Montesinos, se retrouve mêlé à plusieurs scandales de corruption, ce qui lui vaudra une peine de vingt-cinq ans de prison quelques années plus tard.

Alberto Fujimori, lors d’un déplacement à Brunei en septembre 2000, s’est réfugié au Japon, où il était citoyen. Pendant que de violentes protestations s’élevaient au Pérou, Fujimori a renoncé à la présidence le 19 novembre 2000 par fax depuis Tokyo, où il s’était installé.

Au Japon, il commence une nouvelle vie bénéficiant d’une immunité complète. Rappelant sa citoyenneté japonaise, le Japon refuse d’honorer les demandes d’extradition du Pérou en dépit d’accusations de corruption, de détournement de fonds et de crimes contre l’humanité.

Personne ne sait vraiment pourquoi il a décidé de quitter le Japon afin de se rendre à Santiago du Chili en 2005. Peut-être envisageait-il de se présenter à l’élection présidentielle prévue au Pérou en 2006 ? Ce qui est certain, c’est que son arrivée à Santiago le 6 novembre 2005 a surpris tout le monde et a causé une onde de choc politique dans la région.

Dès son arrivée à Santiago, Fujimori est arrêté et mis en détention par les autorités chiliennes. Le Pérou soumet une demande d’extradition que le Chili accepte finalement en 2007. Fujimori est immédiatement transféré à Lima, dans un centre de détention spécialement aménagé, où il doit affronter un vaste procès couvrant toutes les accusations portées contre lui. Le 7 avril 2009, malgré ses dénégations, Alberto Fujimori est condamné à 25 ans de prison pour corruption et violations des droits de l’homme.

Le tribunal a reconnu la culpabilité de M. Fujimori pour les atrocités de Barrios Altos et La Cantuta, commises en 1991 et 1992 par le « Groupe Colina », une unité secrète militaire responsable de multiples meurtres dans le contexte de la guerre contre le terrorisme. Les massacres ont entraîné la mort de 25 personnes, incluant hommes, femmes et enfants. A l’issue d’un procès considéré comme modèle, le tribunal a conclu que l’ancien président était non seulement conscient du Groupe Colina, mais qu’il aurait également orchestré leurs actions.

Le verdict a été applaudie par les ONG, marquant une première dans l’histoire où un dirigeant a été jugé coupable de violations des droits de l’homme par la justice de son propre pays. Les détracteurs de M. Fujimori ont également salué la condamnation d’un dictateur qu’ils accusent de démanteler le système représentatif du Pérou et d’implanter la corruption au sommet du gouvernement.

Cependant, le jugement n’est pas universellement accepté. Au Pérou, une section de la population attribue à Alberto Fujimori la fin du terrorisme dans les années 1990. C’est sous sa présidence que le chef du Sentier lumineux, Abimael Guzman, a été arrêté en 1992, un événement significatif marquant le début de la fin de la guérilla d’extrême gauche.

Sa fille, son successeur politique.

En adoptant une stratégie économique libérale qui comprenait une série de privatisations à grande échelle, Alberto Fujimori a non seulement réussi à redresser le Pérou, un pays en faillite à la fin des années 1980, mais a également stimulé la croissance économique qui a persisté jusqu’à la fin des années 2010, selon de nombreux Péruviens. Sa fille et successeure politique, Keiko, s’est inspirée de ces arguments lors de ses campagnes présidentielles en 2011 et 2016. Malgré sa défaite lors de ces deux élections, l’influence du fujimorisme, un mouvement principalement centré sur l’adoration de l’ancien président, y était manifeste.

Cependant, le mouvement a été affecté par des scandales de corruption et les accusations selon lesquelles il était infiltré par un réseau criminel, ce qui a conduit à l’arrestation temporaire de Keiko Fujimori en octobre 2018 dans le cadre du scandale Odebrecht, une entreprise de construction brésilienne accusée de corruption à grande échelle en Amérique latine. En janvier 2020, son parti, Fuerza Popular, n’a conservé que 15 des 73 sièges qu’il occupait depuis 2016.

Une semaine avant l’arrestation de Keiko Fujimori en octobre 2018, son père Alberto a également été incarcéré. Alberto Fujimori a passé ses dernières années à essayer de sortir de prison et à critiquer ses conditions de détention. Ses enfants ont sollicité une grâce pour raisons de santé en octobre 2012, requête qui a été rejetée huit mois plus tard par le président Ollanta Humala (2011-2016). Le refus s’est justifié en partie par le manque de regret d’Alberto Fujimori envers les victimes du Groupe Colina.

En décembre 2017, Pedro Pablo Kuczynski (PPK), qui a succédé à M. Humala, a accordé une grâce médiacale à l’ancien autocrate après douze ans de détention. Pourtant, lors de sa campagne présidentielle de 2016, il s’était promis de ne pas libérer M. Fujimori. « Nous, qui nous considérons comme démocrates, ne pouvons pas laisser Alberto Fujimori mourir en détention. La justice n’est pas une vengeance », a justifié le président, en référence à ses problèmes de santé cardiovasculaires.

Cette action controversée a suscité une abondance de critiques à l’étranger et a divisé le Pérou. La moitié de l’opinion reprochait le pardon, exprimé plusieurs fois par des manifestations, dénonçant une entente entre M. Kuczynski et le mouvement politique fondé par M. Fujimori pour garder le pouvoir. L’autre moitié estime que l’ancien autocrate a satisfait à sa peine et qu’il est temps de clore le chapitre des « années de plomb ».

« Principal responsable » des stérilisations forcées, en octobre 2018, la Cour suprême de justice a annulé cette grâce, validant ùne requête des victimes des massacres de Barrios Altos et La Cantuta et réfutant le caractère final de la maladie d’Alberto Fujimori. « La fin de ma vie approche », a tweeté l’homme âgé de 80 ans lors de l’annonce de son retour en prison, le 23 janvier 2019, après avoir passé 100 jours à la clinique Centenario de Lima, suite à un malaise peu après l’annonce de l’annulation de sa grâce.

Dans le courant du mois d’avril 2022, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (CourIDH) avait bloqué une nouvelle tentative d’anticipation de la libération de l’ex-chef d’État, déterminée par la Cour Constitutionnelle quelques semaines plus tôt. Cependant, celle-ci a finalement choisi d’ignorer l’opinion de la CourIDH et a ordonné sa libération en décembre 2023, en raison de problèmes de santé.

Jusqu’à la fin de ses jours, Alberto Fujimori était toujours sous le coup d’une poursuite judiciaire pour la torture et le meurtre de six habitants du village de Pativilca, situé au nord de Lima, perpétrés par un escadron de la mort en 1992. Il était également impliqué dans le scandale ayant concerné les centaines de milliers de stérilisations forcées réalisées dans le cadre d’un programme visant à réduire le taux de natalité à la fin des années 1990. Après plus de deux décennies d’attente, l’affaire avait été portée devant la justice pénale en mars 2022, qui avait initié une enquête dans laquelle M. Fujimori était identifié comme le « maître d’oeuvre le plus influent et principal » de cette politique. Cependant, cette enquête avait été annulée par la Cour Suprême le 30 novembre 2023, ce qui a replacé l’affaire à son point de départ.

Alberto Fujimori est né à Lima le 28 juillet 1938. Il a été élu président en 1990. En 1992, il a dissous le parlement et suspendu les garanties constitutionnelles. Il a démissionné de la présidence en 2000 et s’est enfui au Japon. En 2007, il a été extradé vers le Pérou. En 2009, il a été condamné à vingt-cinq ans de prison pour corruption et violations des droits de l’homme. En 2023, il a été libéré suite à une décision controversée de la Cour Constitutionnelle. Il est décédé d’un cancer à l’âge de 86 ans à Lima, le 11 septembre 2024.