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8 septembre 2024 14 h 44 min

Eleanor Ann, incandescente

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L’ouvrage « Ann d’Angleterre » de Julia Deck publié par Seuil (256 pages, 20 €, version numérique 15 €) s’ouvre sur une inquiétude sourde qui ne s’exprime pas par son nom. Julia Deck avoue, dès le début de son nouveau livre, qu’elle y pense depuis trois décennies, en utilisant un ton qui lui est inhabituel, adopté dans un contexte autobiographique. Ses cinq opus précédents, tous produits par les Éditions de Minuit (y compris Viviane Elisabeth Fauville, Propriété privée, et Monument national en 2012, 2019 et 2022 respectivement), étaient tous des fictions acerbes, hilarantes et originales.

Dès le départ, même sans une claire compréhension du thème de l’ouvrage (dont le titre, Ann d’Angleterre, pourrait laisser penser à un roman historique), on sent que quelque chose de sérieux a bouleversé la vie de l’auteure.

Le pivot de cette déviation littéraire radicale est un « désastre » qui a frappé Julia Deck en avril 2022. Lorsqu’elle a rendu visite à Ann, sa mère de 84 ans, dans son appartement parisien, elle a trouvé son corps inerte dans la salle de bain. Suite à une attaque cérébrale, cette femme avait passé vingt-huit heures seule, « allongée sur l’ardoise ». L’évaluation médicale aux urgences est catégorique : hémorragie cérébrale, paralysie de côté droit. On lui informe que « le cerveau sera graduellement submergé par le sang, gonflerait dans le crâne jusqu’à en provoquer la mort ».

Une telle tragédie réveille des souvenirs lointains et inhibe toute anticipation du futur. C’est comme romancière que Julia Deck a choisi de faire face à ces turbulences, en leur donnant une forme et les reliant, à partir de deux narrations alternées qui se répondent tout au long du livre.

D’emblée, Julia Deck comprend que la tragédie qui a frappé sa mère, qui s’est déroulée comme un effet domino, est aussi devenue son propre drame. Il s’agit d’une réalité commune à toutes les mères et filles, liées par un cordon inflexible. L’auteur elle-même impliquée dans cet incident, se limite à rapporter les faits exacts, décrivant le parcours hospitalier de sa mère, transférée de département en département : urgences, soins intensifs, et unité de soins continus où sa chambre était aussi sombre et silencieuse qu’une tombe. La description de l’hôpital par Deck est celle d’un univers parallèle où les résidents « gèrent le flux » et « font circuler les patients ». Même si la santé de la patiente n’est pas finalement compromise, certaines séquelles semblent irréversibles : la mère de l’auteure est en train de perdre la mémoire des mots.
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