Ce live a été animé par Jean-Philippe Lefief, Pierre Bouvier, Gabriel Coutagne, Romain Del Bello, Marie Pouzadoux, Louise Vallée et Audrey Delaporte (photos). Vous pouvez lire tous nos articles, analyses et reportages sur le conflit en Ukraine.
Le rôle de la politique occidentale dans la guerre ukrainienne fait l’objet d’interrogations : elle soutient l’effort de guerre de l’Ukraine, sans pour autant assurer sa victoire ou sa survie ultérieure. En dépit des avancées ukrainiennes sur le territoire russe, c’est toujours Moscou qui domine le champ de bataille.
Stanislav Asseyev, un journaliste ukrainien, exprime son angoisse d’être à nouveau capturé par les Russes plus que sa peur de mourir. L’Ukraine, quant à elle, a pris l’initiative de détruire des ponts dans le territoire russe, une mesure stratégique dont la pertinence est expliquée dans un de nos articles. Une offensive ukrainienne dans le sud de la Russie illustre l’envergure de l’engagement militaire sur le long terme.
Il est également mentionné que des pourparlers secrets entre Moscou et Kiev n’ont abouti à aucune solution. Dans le Donbass, nous avons documenté les derniers jours de la maternité de Pokrovsk dans une zone encore libre.
En matière de technologie de guerre, un nouveau rapport britannique révèle la dimension sans précédent de la guerre des drones entre la Russie et l’Ukraine. En moyenne, l’Ukraine perd environ 300 drones par jour sur le champ de bataille, soit une perte de 10 000 drones par mois. À titre de comparaison, l’armée française possède un peu plus de 3 000 drones dans ses arsenaux.
Ukrainiens et Russes emploient principalement des UAV (véhicules aériens sans pilote) de petite taille de source civile, économiques et largement disponibles. Ces dispositifs sont utilisés pour surveiller le terrain de combat et guider les forces ou les tirs d’artillerie ; certains sont même adaptés pour transporter de petites charges explosives, larguées ensuite sur des tranchées ou des véhicules blindés.
Bien que moins répandus, les drones-suicides jouent également un rôle crucial. Ces UAV, munis d’une charge explosive, sont envoyés au-dessus de la ligne de front sans mission préétablie. Moscou utilise des drones russes Lancet-3, ainsi que des Shahed-136, de fabrication iranienne. En l’absence d’une flotte de guerre conséquente, l’Ukraine irrite son adversaire avec des véhicules maritimes sans pilote, des petits kayaks guidés à distance et remplis d’explosifs (450 kilos de TNT).
En témoigne l’importance des drones pour leurs activités, les Ukrainiens comme les Russes se sont préparés pour soutenir leurs troupes à long terme, non seulement par l’acquisition en vrac de drones civils sur le marché, mais également par l’établissement de capacités de production internes. Encore embryonnaire au début de la guerre du Donbass, initiée il y a dix ans, l’industrie nationale ukrainienne a depuis gagné en vigueur. Fin août, le ministre ukrainien de la transformation numérique a annoncé qu’une réplique du drone russe Lancet avait été développée et serait bientôt lancée sous le nom de Peroun, le dieu slave de la foudre et du tonnerre.
Les sanctions occidentales ont mis des bâtons dans les roues de la Russie en limitant son approvisionnement en composants électroniques. Malgré cela, selon les services de renseignement américains, la Russie aurait entamé la construction d’une usine à Alabouga, dans une zone économique spéciale, dans le but de produire des drones-kamikazes d’origine iranienne, comme les Shahed-136.
On ne connait pas avec certitude la quantité de missiles dont dispose l’armée russe. Les renseignements ukrainiens souvent partagent des informations à ce sujet, mais leur crédibilité est incertaine. Andri Ioussov, un représentant du renseignement militaire (GUR), affirme que l’armée russe possédait 2 300 missiles balistiques ou de croisière avant la guerre et en avait toujours plus de 900 en début d’année. En plus de cela, le représentant annonce que l’armée possède des dizaines de milliers de missiles antiaériens S-300, ayant une portée de 120 kilomètres, et un nombre important de S-400, une version plus récente avec une portée trois fois supérieure. En août, Vadym Skibitsky, le deuxième du GUR, indiquait qu’ils avaient 585 missiles pouvant atteindre plus de 500 kilomètres.
En ce qui concerne les capacités de production, on estime qu’elles seraient d’environ une centaine de missiles balistiques ou de croisière chaque mois, selon divers experts. En octobre, le GUR estimait cette production à 115 unités.
La Russie aurait apparemment acquis des missiles de courte portée en provenance de l’Iran et de la Corée du Nord, et continuerait à le faire. L’agence Reuters, s’appuyant sur diverses sources iraniennes, rapporte que 400 missiles iraniens du modèle Fateh-110 (capable de frapper entre 300 et 700 kilomètres) ont été fournis depuis janvier, époque à laquelle un accord aurait été signé. Le nombre exact de missiles nord-coréens obtenus par la Russie reste inconnu, mais on sait que 24 ont été lancés en Ukraine entre le 30 décembre 2023 et le 7 février 2024, comme l’a indiqué le procureur général Andriy Kostin. Selon les experts qui ont examiné les restes de projectiles et leurs trajectoires, il s’agirait probablement de missiles KN-23 et KN-24 d’une portée d’environ 400 kilomètres.
Qu’en est-il des avions de combat F-16 ?
En août dernier, l’Ukraine a réceptionné ses premiers F-16, des jets de combat fabriqués aux États-Unis, demandés par Kiev depuis le début du conflit. Selon le chef des forces armées ukrainiennes, Oleksandr Syrsky, « l’usage efficace de ces avions modernes pourrait aider à préserver la vie de nos militaires ». Le président du parlement, Ruslan Stefanchuk, s’est réjoui de l’arrivée de « l’avion de combat que nous attendions pour renforcer nos capacités de manière significative ».
Cependant, le commandement ukrainien a déclaré le 30 août qu’un de leurs avions s’était abîmé, tuant son pilote, en repoussant une attaque de missiles russes sur tout le territoire ukrainien quelques jours plus tôt. Depuis le début de l’agression russe en février 2022, Kiev a continuellement demandé des F-16 de fabrication américaine. En août 2023, le président américain, Joe Biden, avait approuvé le déploiement de ces avions sur le sol ukrainien, bien que les Etats-Unis n’envoient pas leurs propres avions.
D’ici 2028, 95 avions sont attendus à Kiev par les alliés : trente de la Belgique, vingt-quatre des Pays-Bas, vingt-deux de Norvège et dix-neuf du Danemark. En mai, la Suède s’est également engagée à envoyer un avion de type Awacs, essentiel pour la collecte de renseignements et la coordination d’opérations potentielles avec les F-16.
De plus, les pilotes ukrainiens doivent recevoir une formation sur ces avions de combat américains. Onze pays alliés de Kiev se sont engagés à entraîner des pilotes.
Quelle aide militaire est fournie à Kiev par ses alliés?
Deux années après l’escalade du conflit, l’appui occidental à Kiev connaît un ralentissement : les ressources nouvellement allouées ont diminué entre août 2023 et janvier 2024, comparativement à la même période de l’année précédente, comme le révèle le dernier rapport de l’Institut Kiel, diffusé en février 2024. Cette tendance est susceptible de se maintenir, car le Sénat américain a du mal à approuver des aides, et l’Union européenne (UE) a rencontré des obstacles pour accepter une aide de 50 milliards le 1er février 2024, à cause de l’opposition de la Hongrie. Ces deux ensembles d’aide ne sont pas encore inclus dans le récapitulatif récent de l’Institut Kiel, qui se termine en janvier 2024.
L’analyse de l’institut allemand révèle que le nombre de donateurs diminue et se regroupe autour d’un ensemble de pays : les États-Unis, l’Allemagne, les pays du nord et de l’est européen, qui proposent à la fois un soutien financier conséquent et des armements sophistiqués. En tout, depuis février 2022, les pays soutenant Kiev se sont engagés à hauteur d’au moins 276 milliards d’euros, qu’il s’agisse d’aides militaires, financières ou humanitaires.
En termes absolus, ce sont les nations les plus prospères qui ont été les plus généreuses. Les États-Unis sont de loin en tête, avec plus de 75 milliards d’euros d’aide promis, dont 46,3 milliards destinés à l’aide militaire. Les pays de l’UE ont promis des aides bilatérales (64,86 milliards d’euros) et des aides collectives issues de l’UE (93,25 milliards d’euros) pour un total de 158,1 milliards d’euros.
Quand on compare les contributions à leur produit intérieur brut (PIB) respectif, le classement des pays donateurs se modifie. Les Etats-Unis se retrouvent alors à la vingtième position (0,32 % de leur PIB), bien loin derrière certains pays voisins de l’Ukraine ou d’anciennes nations soviétiques amicales. En tête de liste, l’Estonie offre le plus d’aides en fonction de son PIB à hauteur de 3,55 %, suivie par le Danemark (2,41 %) et la Norvège (1,72 %). La Lituanie (1,54 %) et la Lettonie (1,15 %) viennent ensuite compléter le top 5. Les trois nations baltes, qui partagent toutes une frontière avec la Russie ou son alliée la Biélorussie, sont parmi les donateurs les plus généreux depuis le début du conflit.
Concernant le classement basé sur le pourcentage du PIB, la France occupe la vingt-septième place, ayant engagé 0,07 % de son PIB, juste derrière la Grèce (0,09 %). L’aide accordée par Paris est en baisse constante depuis le début de l’occupation de l’Ukraine par la Russie – la France occupait la vingt-quatrième place en avril 2023, et la treizième au cours de l’été 2022.
Que sait-on des tensions à la frontière ukraino-polonaise ?
Depuis quelques temps, l’Ukraine et la Pologne sont en désaccord suite aux tensions suscitées par le transport des grains ukrainiens. Au début de l’année 2022, pour aider à l’évacuation et à la commercialisation sans frais douaniers des produits agricoles ukrainiens vers l’Afrique et le Moyen-Orient, l’Union européenne avait instauré des « corridors de solidarité ». Cependant, la Fondation Farm, qui est un think tank sur les problématiques agricoles internationales, révèle qu’environ la moitié des grains ukrainiens transitent ou finissent leur voyage dans l’UE. Ces céréales sont vendues à un prix nettement inférieur à celui du blé cultivé dans l’UE, surtout dans les pays d’Europe centrale.
En se basant sur l’argument que ces céréales menacent de déséquilibrer le marché intérieur et donc les revenus des agriculteurs, la Pologne, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie ont fermé leurs portes aux importations en avril 2023. Toutefois, Bruxelles avait autorisé cette restriction à condition qu’elle n’entrave pas le transport vers d’autres pays et qu’elle ne dure que quatre mois.
Malgré cela, la Pologne a choisi de maintenir ses frontières fermées aux céréales ukrainiennes au terme de l’été, en déclarant que le souci majeur n’avait toujours pas été résolu. Cette décision est survenue alors que Bruxelles était d’avis que l’embargo ne se justifiait plus car ses études démontraient que « les marchés nationaux de céréales ne subissaient plus de distorsion ».
Les exploitants agricoles en Pologne ont mis en place un barrage à la frontière polono-ukrainienne dans le but d’arrêter l’entrée des véhicules ukrainiens dans leur pays. Ils demandent la mise en place d’un « embargo total » sur les produits alimentaires et agricoles de l’Ukraine, en réponse à l’augmentation de leurs frais de production et la saturation de leurs entrepôts et silos, tandis que les prix demeurent bas. Déplorant le manque de solidarité vers son pays, le leader ukrainien a entamé le dialogue avec la Pologne en début d’année 2024. Il a aussi accusé l’apparition de slogans pro-Poutine, faisant remarquer que « seule Moscou se réjouit » de cette situation tendue.
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