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La classe politique sénégalaise maoïste

Il y a une tradition non formulée dans la politique sénégalaise qui existe depuis vingt ans : un ex-maoïste est toujours présent dans les positions importantes du gouvernement. Par exemple, Macky Sall, qui a été président du pays de 2012 à 2024, était associé à cette tendance lorsqu’il était encore lycéen à Kaolack. De plus, son frère Aliou Sall, un autre homme politique de renom, a été un défenseur actif de ce mouvement. Actuellement, Madièye Mbodj, un vétéran maoïste, est le conseiller du nouveau président Bassirou Diomaye Faye, qui effectue actuellement son premier voyage officiel en Chine, coïncidant avec le Forum de coopération sino-africaine qui se déroule du 4 au 6 septembre. Un grand nombre de politiciens, d’artistes et d’intellectuels sénégalais ont été influencés par le maoïsme.

Au moment où la Chine consolide ses ambitions en Afrique, la présence de ceux qui étaient autrefois des lecteurs fidèles du Petit Livre rouge dans divers postes clés n’est pas la seule raison des bonnes relations entre Dakar et Pékin. Cependant, selon une source anonyme qui était autrefois un militant, « Beaucoup d’anciens révolutionnaires étaient en poste lors du rétablissement des relations sino-sénégalaises en 2005. À l’époque, le ministre des affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, était lui-même un ex-maoïste. Lorsqu’il se trouve face à un communiste chinois, il comprend rapidement, car il est familier avec cette culture. »

Le septuagénaire Mamadou « Mao » Wane, un sociologue plein d’esprit et érudit, garde des souvenirs à la fois positifs et négatifs de ses années d’activisme. Parmi les expériences négatives, il y a eu trois peines de prison pour son militantisme. Les expériences positives comprennent notamment un congrès clandestin qui a eu lieu en 1972 dans une forêt de filaos proche d’une plage de Dakar. Monsieur « Mao » Wane, qui utilise son surnom lorsqu’il intervient fréquemment dans les médias sénégalais pour faire des commentaires sur l’actualité, doit ce sobriquet à ses lectures publiques du fameux Petit livre rouge de Mao Zedong.

Il raconte comment Issa Samb, alias « Joe Ouakam », un des artistes contemporains les plus renommés du Sénégal qui est décédé en 2017, ramenait en cachette des copies du livre depuis la Mauritanie en traversant le fleuve entre les deux pays. En effet, sous le règne du président Léopold Sédar Senghor de 1960 à 1980 au Sénégal, la possession du recueil des pensées du leader chinois pouvait attirer des problèmes avec la police. Néanmoins, des centaines de jeunes embrassent les idées marxistes qui sont en vogue.

Dans ce contexte au Sénégal, c’est Mao qui fait le plus écho auprès des jeunes, son mérite est d’avoir écrit sur les économies agraires et le néocolonialisme. Dans le sillage des manifestations et des émeutes de mai 1968 à Dakar, la première organisation maoïste, le Mouvement des Jeunes Marxistes-Léninistes (MJML), voit le jour au début des années 1970.

Le mouvement a rapidement attiré des centaines de jeunes grâce à ses activités culturelles dont le théâtre et les clubs de lecture. L’activisme d’un « front culturel » rouge a permis la propagation dans les universités. Des artistes qui deviendront célèbres plus tard, comme le musicien Baaba Maal, ont ainsi fréquenté cet univers radical.

La tendance maoïste est révélée comme une plateforme d’éducation intellectuelle et politique. L’ancien maoïste, El Hadj Kassé, qui a servi en tant que conseiller du précédent président Macky Sall, affirme que chaque activiste devait être ‘rouge et technicien’. Ils étudiaient l’économie, les sciences dures, l’ingénierie, et traduisaient des textes complexes en wolof pour les partager dans des groupes de travailleurs.

Il y avait beaucoup de talents au sein de ce que l’on appelait la galaxie ‘pro-chinoise’, comme le pionnier subversif le plus célèbre du Sénégal, Omar Blondin Diop. Blondin Diop est décédé en 1973 dans des circonstances inconnues alors qu’il était détenu sur l’île de Gorée. Ce jeune, affilié au MJML et attiré par la lutte armée, était un ancien étudiant de l’Ecole normale supérieure à Paris. Son intellect avait attiré l’attention de Jean-Luc Godard, qui lui a permis d’apparaître dans son film, La Chinoise.

Cependant, le mouvement demandait beaucoup à ses disciples. La répression était sévère. Comme M. Kassé se rappelle, simplement diffuser le journal Xare Bi pourrait conduire à l’emprisonnement. De nombreux étudiants et écoliers, inspirés par les concepts de ‘l’encerclement des villes par les campagnes’ et de ‘la ligne de masse’, ont quitté les villes pour s’installer dans des villages ruraux. Certains d’entre eux ont passé le reste de leurs vies là-bas, comme le note M. ‘Mao’ Wane.

Des « acteurs clés de la transition démocratique ».

Peu importe le chemin qu’ils ont emprunté, les anciens membres du mouvement soulignent comment celui-ci a marqué le Sénégal contemporain. Autrefois, il alimentait le débat intellectuel. De jeunes révolutionnaires se confrontaient à Cheikh Anta Diop, probabelement l’intellectuel le plus renommé d’Afrique de l’Ouest. Monsieur Senghor ne se limitait pas à les réprimer avec force, mais il s’efforçait de leur répondre en écrivant des écrits sur Karl Marx et le socialisme.

Sur plusieurs sujets, les pro-chinois étaient avant-gardistes. L’organisation féministe Yewwu Yewi – qui signifie ‘Prendre conscience et se libérer’ en langue wolof – a germé de leur milieu dans les années 1980. Grâce à leur formation antimpérialiste radicale, ce sont toujours les anciens maoïstes qui stimulent les discussions sur les directions économiques et le développement du Sénégal, à l’exemple de l’économiste Demba Moussa Dembélé, critique du franc CFA, et d’Alioune Sall surnommé ‘Paloma’, qui est passé de la fugue et des camps d’entraînement palestiniens à la profession de consultant international.

« Les maoïstes ont joué un rôle crucial dans la transition démocratique », rappelle un ancien ministre de l’extrême gauche qui préfère rester anonyme. À la fin des années 1970, certains ont rejoint l’organisation panafricaine dirigée par Cheikh Anta Diop, le Rassemblement national démocratique, qui a contribué à mettre la pression sur le président Senghor pour que le Sénégal parvienne au multipartisme.

Au cours des années 1980, plusieurs partis politiques furent légalisés, notamment le parti maoïste, And Jëf, qui signifie « Agir Ensemble » en wolof. Sous la direction de Landing Savané, ce groupe maoïste a attiré divers groupes de gauche. Savané, voyant une opportunité pour un changement de pouvoir, a soutenu Abdoulaye Wade, le candidat libéral, lors de l’élection présidentielle de 2000, explique une source. Grâce à une coalition diversifiée, Savané a assisté Wade dans son effort pour détrôner Abdou Diouf, le successeur de M. Senghor, et mettre fin à plusieurs décennies de domination par le Parti socialiste.

Après les élections, Savané a rejoint le gouvernement de Wade en tant que ministre, tout comme certains autres anciens maoïstes. L’époque de l’agitation radicale était terminée. Certains d’entre eux se sont tournés vers les partis de la gauche réformiste, tandis que d’autres ont rejoint les partis libéraux. Quelques-uns sont restés critiques, et malgré les divergences, beaucoup entretiennent encore de bonnes relations. M. Kassé reconnaît la présence d’une estime et d’un respect mutuels malgré les différences d’opinion en raison des expériences partagées. M. Kassé, malgré ses propres choix divergents, prend encore plaisir à lire les œuvres de son ancien collègue, Alioune Sall, qui est resté fortement à gauche.

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