Aïssat Agba est déconcertée et ne sait plus comment répondre à l’interrogation persistante de ses trois enfants : « Quand notre père rentrera-t-il ? » Son mari, Cyrille, un Togolais résidant en région parisienne, est détenu depuis le 25 juillet dans une cellule au Togo, à plus de 6500 kilomètres de distance. Cyrille, qui dirige une entreprise de sécurité dans le Val-d’Oise, est accusé avec deux autres membres de sa famille de « complot contre la sécurité de l’Etat et financement du terrorisme ». Il risque jusqu’à 20 ans de prison.
Aïssat condamne ces accusations, fondamentalement convaincue de leur infondé. En larmes, elle s’interroge : comment son mari aurait-il pu se voir accorder une autorisation pour son entreprise de sécurité en France s’il entretenait des liens avec des terroristes ? Pour elle, cela ne fait aucun sens.
Le destin de la famille Agba a basculé le 25 juillet au petit matin. Cyrille, qui était arrivé quelques jours plus tôt à Lomé, la capitale togolaise, sans sa famille, se fait arrêter par une quinzaine d’hommes armés en tenue civile. Ils confisquent ses appareils électroniques – ordinateurs, téléphones mobiles, imprimantes – et le détiennent avec son neveu, Eddy, et un cousin. Simultanément, sa belle-sœur Françoise Agba et le gardien de sa maison sont également appréhendés.
Lorsqu’ils sont interrogés sans leurs avocats par le Service central de recherches et d’investigations criminelles (Scric), ils découvrent qu’ils sont suspectés de tentative de coup d’État. Une accusation gravissime dans un pays gouverné par la famille Gnassingbé depuis plus de 60 ans. Le président actuel, Faure Gnassingbé, a fait adopter une nouvelle constitution en mai, qui pourrait lui permettre de conserver indéfiniment le pouvoir.
« Les relations tendues avec le gouvernement togolais, décrit comme vindicatif et paranoïaque »
La réalité de cette arrestation, selon les connaissances de la famille Agba, est une tentative d’atteindre l’homme d’affaires controversé, Sow Bertin Agba. Frère de Cyrille, décédé un an plus tôt en exil en Afrique du Sud, Sow est le point central de cette affaire. En tant qu’entrepreneur prospère dans le domaine de la sécurité, Sow Bertin Agba a été impliqué dans un scandale d’escroquerie mondiale en 2011. Parmi ceux impliqués se trouvait Loïk Le Floch-Prigent, l’ancien dirigeant d’Elf Aquitaine. Un émir wealth wealthy des émirats arabes unis, proche de la direction togolaise, l’a accusé d’avoir extorqué 48 millions de dollars en prétendant être le ministre de l’Intérieur. Agba a admis sa culpabilité.
Puis, après une libération temporaire, Agba a disparu du pays. Après un voyage au Ghana, il a été arrêté à Athènes par Interpol. Une tentative d’extradition par une délégation togolaise a échoué et il a réussit à s’échapper à nouveau. Ayant établi sa résidence en Afrique du Sud, Sow Bertin Agba est décédé subitement en mai 2023 après un repas dans un restaurant de Johannesburg. « Un assassinat orchestré par le gouvernement togolais », revendiquent certains de ses alliés, qui ne sont pas surpris par l’arrestation de ses proches.
Les activistes dénoncent le gouvernement du Togo comme étant rancunier et paranoïaque, comme en témoigne l’arrestation des Agba treize ans après les incidents passés. On se demande comment Françoise, la veuve de l’homme capturé, ravagée par la perte de son mari, pourrait se livrer à des actes de déstabilisation ou de terrorisme. Les adversaires du gouvernement affirment que l’accusation de ces crimes est un moyen d’éliminer les ennemis du régime.
Selon le gouvernement, cependant, la veuve Agba semble être l’instigatrice d’une double attaque terroriste qui a eu lieu le 20 juillet dans le nord du pays, entraînant la mort de douze soldats. Le rapport du procès consulté par le journal Le Monde indique que son arrivée au Togo, ainsi que celle de sa famille quelques jours plus tôt, pourrait ne pas être un hasard. Les autorités affirment que Bertin aurait utilisé une large partie de sa fortune pour soutenir ce qu’il appelait « la lutte » pour changer le régime en place.
C’est une situation embarrassante pour Paris où la famille Agba a des liens étroits. Ses proches sont préoccupés par la santé de la détenue, qui a été opérée d’un cancer et est toujours sous traitement. « Elle est rentrée au pays après plus de dix ans d’exil, pensant qu’elle serait en sécurité à la suite du décès de son mari. À son arrivée, elle s’est présentée à la gendarmerie pour renouveler ses documents d’identité. Est-ce que cela ressemble au comportement d’une terroriste ? » s’exclame l’un de ses proches.
Il est reproché à Sow Bertin Agba des actions pour lesquelles aucune pièce justificative n’a été présentée – en effet, le procès-verbal de l’audition mentionne que les interrogatoires n’ont pas su prouver une quelconque implication de ceux qui ont été interrogés dans une conspiration contre l’État ni dans un soutien financier à des activités terroristes. Apparemment, ce qui suscite la suspicion du gouvernement togolais envers lui est sa présumée richesse.
De son vivant, l’homme d’affaires vivait luxueusement, possédant deux jets privés et un grand nombre de propriétés immobilières et automobiles. Néanmoins, selon sa famille et ses amis, les dernières années n’ont pas été prospères pour lui. En dépit de ses relations avec les dirigeants du Kenya, du Ghana et du Congo, il a fait face à des difficultés financières majeures.
« Sa femme a dû rentrer pour vendre leurs deux propriétés et régler leurs dettes en Afrique du Sud. Leur niveau de vie a drastiquement baissé. Bertin n’a pas caché de fortune et n’avait pas d’ambitions politiques. Il ne posait pas de menace pour le gouvernement », affirme l’un de ses proches.
Dans cette situation, Aïssat Agba espère l’intervention de la France pour libérer son mari franco-togolais. C’est un cas embarrassant pour Paris qui cherche à maintenir de bonnes relations avec le Togo. Le 15 août, le président Togolais Faure Gnassingbé était l’un des rares dirigeants à avoir accepté l’invitation du président français pour célébrer le 80ème anniversaire du débarquement de Provence, un geste apprécié par la France face à la méfiance de nombreuses anciennes colonies de la Francophonie.
« La France ne doit pas abandonner mon mari. Il est aussi citoyen français. Néanmoins, jusqu’à présent, il n’a reçu ni aide ni visite consulaire », se désole Aïssat Agba. Le ministère français des affaires étrangères, lorsque sollicité, n’a pas souhaité répondre à nos interrogations.
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