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5 septembre 2024 19 h 50 min

Ouvriers sénégalais et économie chinoise

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Cheikh (pseudonyme utilisé pour préserver son anonymat) a 31 ans et garde en mémoire l’enthousiasme de son embauche chez Twyford Ceramics à Sindia, Sénégal, il y a cinq ans. Fraîchement diplômé d’un master en finance de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, il était plein d’espoir. Il prend un logement locatif, une petite chambre d’à peine 20 m² près de l’usine de carrelage où il travaillait. « C’était mon tout premier emploi, j’étais ravi d’avoir un contrat de travail », se souvient-il.

Comme Cheikh, de nombreux habitants de la région nourrissaient des espoirs similaires. Twyford Ceramics, fondée en 2019 et lancée en grande cérémonie par l’ancien président, Macky Sall en janvier 2020, était soutenue par des investissements chinois et avait investi 55 milliards de francs CFA (83 millions d’euros). L’entreprise devait contribuer à réduire le taux de chômage des jeunes dans la région de Thiès en créant 1 500 emplois directs. Cependant, la désillusion n’a pas tardé à s’installer.

Chaque jour, les travailleurs de la compagnie assument leur rôle en doublure de douze heures, souvent sans une pause déjeuner. Première équipe prend son poste à 7h30, pendant que l’autre équipe commence à 19h30. Chaque semaine, ils travaillent soixante heures pour un salaire mensuel de 80 000 francs CFA (ce qui équivaut à 120 euros) pour ceux qui travaillent sur la chaîne de production, et jusqu’à 200 000 FCFA (305 euros) pour les superviseurs, incluant les primes de risque, de rendement, d’antiguité et de blanchisserie. Selon analyses, le salaire moyen au Sénégal oscille entre 100 000 CFA (150 euros) et 150 000 CFA (228 euros). « C’est une manque de respect, Ils profitent de nous », dénonce Cheikh, en regardant son accumulation des fiches de salaire. Pendant cinq ans, il aurait eu droit à 120 jours de vacances, mais n’a été autorisé qu’à 40 jours.

Des longues heures de travail s’ajoutent des conditions de travail qui sont décrites comme « inhumaines » par beaucoup d’employés. « Il n’y a pas si longtemps, nous n’avions pas d’eau potable », s’offusque Ousmane, qui a également choisi d’être identifié par un pseudonyme. « Nous n’avons pas de protections individuelles appropriées, comme des chaussures, des casques, ou même des gants pour la découpe des carreaux », ajoute un de ses collègues en montrant une cicatrice d’un accident de travail récent. Il faut également mentionner que les Chinois ne nous traitent pas bien, ils nous adressent comme des bêtes, nous infantilisent et parfois vont jusqu’à la violence physique. »

Presque 90 % des travailleurs sont en CDD.

L’inspecteur général du travail et de la sécurité sociale, Tene Gaye, se déclare conscient des conditions de travail inacceptables. Il raconte qu’en 2019, lors de sa première visite, il a constaté que les lois du travail sénégalaises n’étaient pas respectées. Prosperant sur la base de son rapport de cette époque, il avait alors adressé une mise en demeure présentant 29 aspects contraires à la réglementation, notamment l’espace de travail sans médecine du travail, sans comité d’hygiène et équipements individuels.

Selon lui, un autre problème majeur est celui des contrats précaires. Il souligne que presque 90% des travailleurs sont sous contrat à durée déterminée (CDD). Twyford Ceramics, détenteur d’une autorisation du code d’investissement, peut ainsi contourner certaines lois du travail sénégalaises, comme la politique de renouvellement des CDD. Abdou Aziz Sy, trésorier de l’Union démocratique des travailleurs du Sénégal, précise que malgré certaines facilités accordées pour attirer les investisseurs, cela s’est traduit par la création d’emplois précaires et indignes.

Cheikh, qui travaille dans une société depuis 5 ans avec des contrats temporaires renouvelés initialement tous les trois mois, puis tous les six mois, et maintenant tous les ans, exprime son inquiétude quant à la stabilité de son emploi. L’inspecteur Tene Gaye renforce cette préoccupation, en révélant que l’année dernière, l’entreprise n’a pas renouvelé les contrats de 18 employés simultanément, tous récemment syndiqués. Gaye souligne que cette pratique restreint la liberté d’organisation collective et de représentation des travailleurs, ce qui est pourtant garanti par la loi sénégalaise. Depuis lors, aucun nouveau syndicat n’a vu le jour au sein de la firme.

Malgré des modifications apportées depuis 2019, beaucoup reste à faire pour que l’usine de carrelage se conforme totalement à la réglementation sénégalaise. En 2024, l’usine a attiré l’attention des autorités récemment élues, dont le nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, qui va bientôt faire son premier déplacement en Chine à l’occasion du 9ème forum de coopération sino-africaine. Une source interne de l’entreprise révèle qu’ils ont reçu des auditeurs dépêchés par le gouvernement, venant directement de Dakar plutôt que du bureau régional de Thiès.

Récemment, l’International Finance Corporation, une filiale privée de la Banque Mondiale, a décidé d’auditer l’usine Twyford Ceramics à Sindia, dont elle est créancière. Cette démarche semble préoccuper le groupe chinois. Selon un délégué du personnel, la direction a récemment fait savoir à ses équipes que les heures de travail hebdomadaire ne devraient pas dépasser 48 heures, conformément à la législation sénégalaise qui ne permet pas plus de dix heures de travail par jour, à moins d’une dérogation de l’inspection du travail, que Twyford n’a pas. Cependant, cette décision entraîne des réductions de salaires. La direction de l’entreprise n’a pas répondu aux demandes du journal Le Monde. Abdou Aziz Sy, un syndicaliste, reconnaît que ce cas n’est pas uniquement lié aux entreprises chinoises bien que celles-ci tendent souvent à se faire remarquer. Il souligne également que si ces usines ont une part de responsabilité, l’Etat sénégalais en porte aussi une grande partie à cause de sa tolérance.